Aujourd'hui, elle est mangée par l'oubli et le désintérêt de ses élus. Hadj Chabane, un natif de la capitale de la Mitidja, nous invite chez lui, comme pour mieux apprécier les effluves d'antan à jamais disparues. Un f'tour chez un blidéen de souche, quoique l'histoire de la ville n'est pas très ancienne par rapport à Alger, Constantine ou Oran, est en lui-même une découverte. Ici à Blida, il faut savoir que c'est la ville des K'taief, ces fines pellicules de pâtes faites à partir d'un moule en cuivre que l'on fait chauffer sur un grand plateau et qui donnent de succulents gâteaux. Blida est également la ville où l'on fait le mieux les Dioul pour différentes sortes de gâteaux traditionnels. Bref, Chabane nous emmène au marché de la Souika où il fait ses emplettes pour le f'tour de ce soir. Pas trop de choses, mais des produits fins : tomates, poivrons, salades laitue et frisée, un peu de pomme de terre, de la viande, beaucoup de viande ovine et bovine. Mais, surtout, du foie de mouton. Pas un foyer de Blida digne de ce nom ne peut concevoir une Meida du Ramadhan sans une « charmoula », une entrée à base de morceaux de foie baignés dans une sauce rouge piquante. Les gâteaux, on les fait à la maison, nous dit Hadj Chabane. A la maison, sur les premiers contreforts de la ville, dominant les quartiers urbains, la place « Ettoute » et Bab Edzaïr, sur la route qui monte vers Chréa, on nous accueille sobrement. La maison est spacieuse, style arabo-andalou, avec un patio à l'entrée, une grande véranda, et des chambres basses mais robustes, laissant filtrer l'air et la fraîcheur par un système de couloirs étroits. Ici, on devine le passage des « grenadins », qui ont été installés par Kheireddine, un des trois frères Arroudj vers l'an 1500. Atmosphère andalouse donc dans cette maison où se dégage une grande fraîcheur, mais surtout une sensation de grande quiétude à l'ombre de l'histoire de cette ville dont les premiers habitants étaient les réfugiés de Grenade, Cordoue et Séville. Voilà, les présentations sont faites, et on continue à discuter du passé de cette ville, en attendant l'heure de la rupture du jeûne. Une table bien garnie, des mets variés La table est cossue : des entrées de salades, du foie avec une sauce rouge piquante, les traditionnelles dattes et le lait pour rompre le jeûne, des boureks de viande et d'œufs brouillés. Contrairement à d'autres régions du pays, ici à Blida, les boureks, faits avec des diouls ou de la pâte à base de farine, sont farcis de viande hachée avec des oignons et des œufs brouillés. La richesse des uns et des autres en a enrichi le contenu avec des boureks de crevettes ou d'épinards, pour les moins nantis. Et, pour la chorba, ce sera une soupe avec des vermicelles, les gens de Blida préfèrent les vermicelles, comme ceux du Centre d'ailleurs, car ils n'ont pas une relation étroite avec la terre, les céréales comme les gens de l'Est du pays où la chorba du Ramadhan se fait avec du frik, blé dur concassé. Et, pour les plats de résistance, Hadj Chabane nous en met plein la vue : du poivron farci avec la viande bovine, un « M'touem » (boulettes de viandes à la sauce blanche) avec de la viande ovine et une « Barania », un vieux plat des gens du Centre fait à base de pain rassis et de morceaux de poulets récupérés. Et puis, à la fin, il y a le fameux plat que tout le monde apprécie à Blida : L'ham Lahlou, fait à base de pruneaux et de viande ovine, et, surtout, Ch'bah essefra, un plat que l'on dit venu d'Andalousie, et seules des familles algéroises et typiquement blidéennes savent cuisinier. Grosso modo, ce sont des boulettes faites à base d'amandes mélangées à des biscottes que l'on trempe ensuite dans une sauce sucrée parfumée à la cannelle et de la viande de mouton. Pour les desserts, il y a en fait ceux de saison, alors que pour les boissons, le « Charbette » local est incontournable dans les foyers blidéens. On en trouve à chaque coin de rue dans la vieille ville. Et, pour les gâteaux, le choix est très varié. Dehors, on entend l'Adhan du Maghreb, Hadj Chabane se prépare à aller faire la prière après avoir rompu le jeûne avec des dattes et du lait. Dans la soirée, les Blidéens, après les prières surérogatoires (tarawih) vont sortir flâner et prendre l'air frais de la nuit à l'ombre des sommets de Chréa.