La question sur les motivations qui l'ont mené vers le restaurant Errahma ouvert par l'association des Oulémas musulmans à Birmandreis étonne de prime abord. Pour Hocine Guemraoui « Aider son prochain est une recommandation de notre religion, le jeûne en ce mois sacré n'est pas complet si l'on tourne le dos aux autres », dit-il. C'est la seconde fois qu'il apporte la main à la pâte. « L'an dernier, raconte ce jeune de 22 ans, qui après un stage en techniques de refroidissement peine à trouver un travail, j'étais bénévole dans un restaurant du Croissant-rouge ».Il s'est retrouvé avec les oulémas, un peu par hasard. « J'ai lu une annonce à la mosquée et je suis venu, l'essentiel est de servir, d'aider ». Il s'occupe seulement de servir les plats à la centaine de nécessiteux qui chaque soir se pressent dans le modeste local. « J'ai l'impression de faire une action utile, d'immerger dans la vraie société et d'appliquer vraiment ma religion où le mot el Massakine, (les nécessiteux) revient toujours ». M. Bouchakour, SG du Croissant-rouge algérien (CRA) est convaincu : « au fond de chaque Algérien sommeille un vrai et un réel besoin de solidarité, notamment lors de conjonctures exceptionnelles comme le Ramadhan ou les séismes », estime-t-il. L'homme reste fortement marqué par le tremblement de terre de Boumerdés de mai 2003. « Il fallait voir ces familles qui pour aider jetait des couvertures, des habits, des produits alimentaires », se souvient-il. « Cette semaine, raconte t-il un jeune de Telemly est venu proposer sa pizzeria de vingt places pour qu'on l'utilise comme restaurant mais quand je lui ai fait remarquer qu'elle était trop petite, il a aussitôt voulu nous aider autrement en mettant à notre disposition son camion qui nous a servi à transporter des denrées alimentaires au profit de la vingtaine de restaurants que nous avons ouvert dans la wilaya d'Alger ». Autrement dit, la solidarité est une seconde nature chez l'Algérien qui pour le sociologue Slimane Meddar « est fortement marqué par la culture paysanne ou l'on se partageait tout, même si elle trouve d'autres canaux et d'autres circonstances pour s'exprimer ». « Cet investissement dans les associations est une marque de modernisation sociale car le modèle familial élargie a explosé et l'individu émerge pour prendre en charge ces situations de rupture d'autant plus que l'esprit communautaire reste prégnant dans notre société à travers le sentiment religieux », ajoute ce professeur à l'université de Bouzaréah . PAR HUMANISME... Latifa qui n'a ni lieu ni moyens à proposer, fait partie des 12.000 bénévoles du Croissant-rouge. Elle vient de Blida. « Je suis étudiante en architecture et je suis hébergée chez une amie qui vit avec son père et sa mère dans une petite villa à Khraissia », précise-t-elle. Elle ne met pas en avant des arguments religieux mais la simple humanité qui selon elle « doit nous pousser à s'intéresser à l'autre, à se rapprocher de lui ». Ce petit bout de femme ne se contente pas de préparer les repas elle prend soin également « d'écouter les femmes qui viennent chaque soir parfois avec des enfants manger dans ce petit restaurant de Dar El Beida. « La plaie de notre société est l'indifférence qui se développe de plus en plus. Chacun ne cherche qu'à s'occuper de ses problèmes alors que nous ne pouvons vivre dignement si à côté, la misère et la précarité avance », explique-t-elle. Elle reconnait que l'influence de son amie fut décisive car « son père a été un pompier et il a été marqué par le tremblement de terre d'El Asnam en Octobre 1980 ». Chaque soir, bien qu'elle soit en congé, elle ne pense ni aux joies de la baignade ni à celles de la farniente. Avec son amie elle prend un taxi et rejoint l'équipe du C-RA qui compte près d'une quarantaine d'éléments. Elles s'occupent des marmites dans une ambiance conviviale où les hommes avec lesquels elles travaillent se montrent « toujours respectueux ». Le soir, quand elles rentrent elles ont toujours cette « satisfaction d‘avoir accompli une œuvre qui me procure un bonheur de ne pas être égoïste », confie Latifa. ET PAR REALISME Merouane Bensbaa est employé dans une agence de la Société générale. Il a perdu son beau frère lors du séisme de Boumerdés et depuis, il fréquente moins la salle de sport ou le judo était son loisir favori. « J'en fais toujours mais je consacre désormais plus de temps aux pauvres et nécessiteux », dit-il. Philosophe sur les bords, il dira que « nul n'est à l'abri des vicissitudes de la vie et j'ai appris en côtoyant les gens fragilisés qu'il faut tout relativiser dans la vie, se rappeler que nous sommes de simples mortels et comme disent nos anciens il ne restera de notre passage sur la terre que les bonnes actions ». Le banquier n'a nullement une calculatrice à la place du cœur. Dès qu'arrive le Ramadhan, il prend son congé. « Certes, je dois aussi m'occuper de ma petite famille mais je rentre à Akbou ou j'intègre aussitôt une association dénommée Soleil de la Soummam. Nous activons beaucoup pour nettoyer la région allant d'Akbou à Sidi Aich des détritus qui sont devenus une menace directe pour le citoyen », raconte-il. Pour lui qui fut il y a une dizaine d'année un militant politique actif, « le travail à ce niveau est dans une impasse, il faut rebâtir la citoyenneté par des actions modestes mais concrètes ». Ils sont ainsi des milliers de médecins, de chômeurs, des femmes et des hommes qui contribuent souvent dans la discrétion au bonheur des autres. Du moins à leur apporter du réconfort, à faire reculer les frontières de l'égoïsme.