Les premières victimes civiles (7 morts et 200 blessés dans les affrontements de mercredi) du « printemps égyptien » sont tombées aux abords du Palais présidentiel El Ittahadiya, aux allures de champ de bataille et nouvel épicentre de la contestation se substituant à la mythique place Tahrir du consensus ébranlé. La fracture dresse en camps irréductibles les Frères musulmans, mobilisés derrière le président Morsi de la « légitimité » des urnes, et l'autre Egypte des « espoirs déçus ». Le scénario chaotique n'est plus une vue de l'esprit. Dans un contexte de violences meurtrières et de raidissement des positions des protagonistes, à l'appel du Front du salut national de Mohamed El Baradeï et des jeunes révolutionnaires du 6 Avril, un des acteurs clés de la révolution du 25 Avril, l'opposition a marché, en ce vendredi du « carton rouge », pour maintenir la pression sur Morsi, accusé de tourner le dos aux « demandes et aux protestations du peuple » et à fermer « la porte à toute tentative de dialogue » générée par le « coup d'Etat » institutionnel et constitutionnel. Le bras de fer est relancé. Dans un discours à la nation prononcé, jeudi soir, le président Morsi a tenté de proposer, en vain, un dialogue national sans rien céder sur les dossiers qui divisent l'Egypte : le décret contesté qui autorise des « pouvoirs souverains » et le projet de Constitution. Bien plus, les attaques dirigées contre les « saboteurs », liés à des partis et à l'ère Moubarak, ont rallumé le brasier de la contestation. Peu après son intervention, de violents combats ont repris de plus belle près du siège du Caire, à Ismaïliya et à Suez, des Frères musulmans. Qui arrêtra la descente aux enfers des deux Egypte ? Le dialogue avorté, dénoncé par l'opposition pour son manque de sérieux et de crédibilité, amorce une crise de confiance aiguë largement exprimée par la remise en cause de la légitimité de Morsi qui a raté, selon le Front du salut national, la chance d'« agir comme le Président de toute l'Egypte ». Le front anti-Morsi s'est étendu à ses proches. Quatre de ses conseillers ont ainsi démissionné pour protester contre le fameux décret et la gestion de la crise. Même El Azhar s'y est mise de la partie. Elle a demandé à Morsi de suspendre ce décret pour favoriser la sortie de l'impasse préjudiciable pour la stabilité de l'Egypte. Cette situation explosive a suscité la « profonde inquiétude » de Barack Obama, appelant au « dialogue sans préalable ». Il a, notamment déclaré qu'il était « essentiel que les dirigeants égyptiens de toutes tendances mettent de côté leurs divergences pour s'entendre sur les moyens de faire avancer l'Egypte ». A l'heure de la désillusion des « printemps arabes », voués à une instabilité grandissante et au cycle de violence ininterrompu, le cas égyptien ne peut indifférer pour le rôle de leadership régional de l'Egypte et son influence sur l'évolution des équilibres