Comme il était aisé de le prévoir, le sommet annuel de l'UIT à Dubai s'est terminé par une neutralisation réciproque de toutes les velléités de ceux, nombreux, accourus à cette manifestation, dans l'espoir d'avoir un mot dans la gestion du réseau Internet, avec des motivations et approches divergentes. Le nouveau traité international sur les télécommunications a été signé au dernier jour de la conférence, par 89 Etats membres de l'Union internationale des télécommunications (UIT), tandis que 55 pays, à leur tête les Etats-Unis, n'ont pas signé ce document révisant le règlement des télécommunications internationales (RTI), daté de 1988. Blocage de la Russie, de la Chine et de plusieurs de leurs alliés, sur les propositions des Etats-Unis ; blocage de ces derniers, de l'Europe et d'autres sur les propositions du bloc favorable à une réforme, au sein duquel a évolué l'Algérie. Pour des pays comme la Russie, les Emirats arabes unis, la Chine et l'Algérie, les 193 Etats qui siègent à l'Union internationale des télécoms doivent avoir des « droits égaux pour gérer l'Internet ». C'est le sens de la proposition faite par ces pays : « les Etats membres ont le droit de gérer le nommage, le numérotage, l'adressage et les ressources d'identification utilisées pour les services de télécommunications internationales au sein de leur territoire ». Certains observateurs ont vu cela comme « une tentative plutôt saine de contrecarrer le pouvoir exorbitant d'agences américaines, comme l'ICANN ou l'IANA, qui assurent, jusqu'à présent, un monopole presque absolu sur les ressources du net. Sauf que pour les Américains et leurs alliés, « l'origine de la proposition permet de douter sérieusement de la volonté de rendre plus transparente la gestion des DNS au niveau mondial. Russie, Chine et compagnie ne sont pas des parangons de vertu démocratique, et l'idée même qu'ils puissent avoir la mainmise totale sur ces opérations courantes d'attribution, au cœur du fonctionnement de l'Internet, ne laisse pas d'inquiéter ». Une proposition des « pays arabes » aurait même été faite à l'improviste pour faire de l'UIT un fournisseur d'adresses IP, rapporte une source citée par ZDN et USA. Elle a été aussitôt retirée sous la pression des Etats-Unis. Pourtant, le traité, dans sa version finale, n'aborde pas Internet, ni sa régulation ni sa gouvernance, a rappelé dans le discours de clôture du sommet de Dubaï, le SG de l'UIT, le Malien Hamadoun Touré, qui avait, pourtant, donné comme garantie à l'ouverture de la conférence que « rien dans cette conférence ne toucherait la liberté d'internet. » Deux passages du traité ont, néanmoins, soulevé des craintes pour les partisans de la non-régulation absolue du Net. L'article 5B évoque la nécessité pour les Etats membres de prendre des mesures pour prévenir la propagation de flots de communications électroniques non sollicitées et d'en minimiser les conséquences sur les services de télécoms. Une disposition que les pays occidentaux, à leur tête les Etats-Unis, ont vite déclamée comme « un encouragement de certains gouvernements à verrouiller les échanges électroniques (SMS, email) au nom du contrôle de cette prolifération ou supposée telle ». Le seul texte qui évoque Internet est une résolution non contraignante sur la promotion d'un environnement favorable pour un plus grand développement d'internet. L'Amérique du Nord, terre des géants du Web (Google, Amazon, Facebook) qui ont prospéré sur l'absence de régulation de la gigantesque infrastructure IP qu'est devenu Internet, a exprimé ses plus grandes craintes quant à la perspective d'accorder plus de pouvoirs à l'UIT, ce qui serait, selon elle, une menace pour un réseau libre et ouvert. « Les Etats-Unis ont toujours pensé que le traité ne devait pas s'étendre au contenu d'internet ou à sa gouvernance », avait expliqué le chef de la délégation américaine à la conférence de Dubaï, Terry Kramer, en annonçant que son pays « ne pouvait pas signer le texte dans sa forme actuelle ». Parmi les autres pays qui ne signeront pas le texte, on retrouve le Costa-Rica, le Danemark, l'Egypte, l'Inde, le Kenya, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, la Pologne, la République tchèque, le Qatar et la Suède. La France en a fait autant, rejoignant ainsi une position formulée par le parlement européen qui a déjà rejeté, en fin de mois dernier, « toute modification des modalités de gouvernance de l'Internet au niveau mondial... ». Pour les Américains, l'enjeu est ailleurs : conserver leurs prérogatives. Intérêt commun avec le Canada, l'Europe et autres, avec lesquels ils militent pour faire admettre que « cela évite de tenter le diable en mettant des verrous dans les mains de pays peu enclins à respecter l'ouverture de l'Internet ». D'où leur opposition farouche à l'idée que « si la gouvernance mondiale de l'Internet revenait à l'UIT, elle deviendrait multilatérale, et permettrait à chaque Etat de gérer indépendamment l'adressage des sites sur son territoire. Un interrupteur facile à actionner pour censurer n'importe quel site web ». La Chambre des représentants américaine, qui forme le Congrès des Etats-Unis, a voté en bloc, mercredi dernier, contre toute tentative de réguler internet au sein de l'Union internationale des télécommunications, une agence de l'ONU. Après un vote similaire du Sénat, les représentants américains ont rejeté - à 397 voix contre 0 - la possibilité de donner un quelconque pouvoir d'autorité à l'UIT en matière d'internet, au moment où l'agence doit revisiter le Règlement des télécommunications internationales lors de son sommet L'élu républicain, Greg Walden, a souligné avant le vote la nécessité d'« envoyer un signal fort, bipartisan et réunissant les deux chambres, sur l'engagement des Etats-Unis pour un internet non régulé ». Il a particulièrement mis en garde contre un alignement avec « des pays comme la Russie et la Chine qui cherchent à extorquer un contrôle de l'internet ». « Imbroglio généralisé et flou magistral » auront, de l'avis de nombreux journalistes présents, caractérisé cette conférence dont les résultats sont connus et les répercussions à suivre de près d'ici quelque temps.