Plus de deux milliards de personnes ont acc�s aujourd�hui � l'internet, utilis� pour la conduite d�activit�s priv�es quotidiennes et professionnelles : acc�s � des services gouvernementaux, op�rations bancaires, communication, recherche de l�information et de plus en plus pour des activit�s politiques � cause de son efficacit� et de son co�t. Les t�l�communications via internet (VoIP) connaissent aussi une importance consid�rable tant sur le plan �conomique que social et tendent � devenir le Backbone des communications dans le monde. La World Conference on International Telecommunications (WCIT) de Duba�, qui se d�roule du 3 au 14 d�cembre, pr�voit aussi dans son ordre du jour la r�vision du trait� international R�glement des t�l�communications internationales (RTI), pour prendre en consid�ration l��volution de l�internet et des t�l�communications via internet. Les int�r�ts politiques divergents des pays les plus puissants risquent de remettre en cause les objectifs fix�s par l�Union internationale des t�l�communications, institution des Nations unies qui organise la WCIT. Qu�est-ce que la WCIT et le RTI ? La Conf�rence mondiale des t�l�communications internationales (CMTI) ou The World Conference on International Telecommunications (WCIT) est une conf�rence internationale pour discuter et modifier le r�glement des t�l�communications internationales (RTI) qui permet la gouvernance et le fonctionnement des t�l�communications internationales. Pourquoi cette conf�rence est-elle importante ? Elle devrait discuter de l�avenir de l�internet et plus pr�cis�ment de sa gouvernance ainsi que des questions regardant l'architecture, le fonctionnement et la s�curit� et aussi de la possibilit� de sa mise sous contr�le international par les Nations unies. Des d�l�gations arriveront avec des propositions que d�autres r�cuseront pr�textant le risque d�entraver le fonctionnement, la censure ou le libre acc�s � l�internet. Bilan des r�centes conf�rences sur le cyberespace D�importantes conf�rences internationales sur le cyberespace ont eu lieu au courant des deux derni�res ann�es regardant l�internet, sa s�curisation et un �code de conduite� : la London Conference on Cyberspace de novembre 2011, la Budapest Conference on Cyberspace d�octobre 2012, India Internet Governance Conference (IIGC) d�octobre 2012 ou Internet Governance Forum (IGF) de Baku de novembre 2012. Elles ont accueilli des centaines de d�l�gations compos�es de responsables politiques de tr�s haut niveau, d�experts gouvernementaux et du secteur priv�, qui ont �t� d�accord sur l�existence de menaces s�rieuses � la s�curit� nationale dans le cyberespace, l�augmentation continue en nombre et sophistication des cybermenaces, la lenteur des gouvernements � mettre en place une strat�gie pour les contrer, mais ne sont arriv�s � aucun accord, car le cyberespace est approch� diff�remment par des pays et des groupes qui ont des int�r�ts divergents. Qu�est-ce que l�IRT et son r�le ? Le RTI a pour mission la d�finition des modalit�s de l'�change de trafic international des t�l�communications. Il n�a pas �t� r�vis� depuis 1988 et continue � le faire malgr� les changements importants dans les t�l�communications, notamment la lib�ralisation des march�s et l'av�nement des nouvelles technologies et des services, et sans toujours prendre en consid�ration l�impact de l�internet dans le secteur. A qui appartient l�internet et qui est-ce qui le contr�le ? La r�ponse est �vidente : ce sont les Etats-Unis. Dix des treize root serveurs sont localis�s aux Etats-Unis, deux en Europe et un au Japon. Les Etats-Unis, qui sont dans une position strat�gique unique, g�rent et financent l�internet et ont la possibilit� d�en interdire l�acc�s. C�est une situation qui n�est plus supportable pour beaucoup de pays qui d�pendent de plus en plus de l�internet sur les plans �conomiques et militaires et qui veulent remettre en cause cette r�alit�. L�internet est g�r� concr�tement par des organisations non lucratives dont Internet Corporation for Assigned Numbers and Names (ICANN), World Wide Web Consortium (W3C) et Internet Society qui allouent les noms de domaines et adresses IP aux utilisateurs en vertu d'un contrat avec l'US Department of Commerce qui expire en 2015. Les Etats-Unis, qui contr�lent aussi les rootzones, sont en mesure par exemple d�interdire l�acc�s � l�internet � l�ensemble d�un pays en �liminant son symbole des rootzones : .dz pour l�Alg�rie ; .fr pour la France ou .ir pour l�Iran. Quelles sont les appr�hensions ? Les appr�hensions sont politiques et commerciales : - la mise sous contr�le international de l�internet. Depuis 2004, les Nations unies ont fait plusieurs tentatives pour saisir l�ICANN ; - des r�gimes ne soutiennent pas un internet libre et ouvert, les contenus sont filtr�s et censur�s. Dix-neuf lois consid�r�es comme une menace pour la libert� d�expression ont �t� vot�es ; - la crainte que des changements vot�s lors de la conf�rence WCIT pourraient accro�tre la censure et remettre en cause l�esprit d�innovation sur internet ; - le contr�le par des gouvernements du trafic internet entrant et sortant � des fins politiques ; - l�acc�s aux services de YouTube, Facebook, Skype, etc., deviendraient payant ; - l�UIT n�est pas l�institution ad�quate pour d�cider du futur de l�internet car les changements seront soumis au vote des gouvernements uniquement, les repr�sentants de la soci�t� civile et les ONG ne peuvent pas voter ; - la diff�renciation entre les contenus du trafic sur internet (Net Neutrality). Le Consortium europ�en des t�l�communication (Etno) a propos� de faire payer des providers comme Google ou Facebook en fonction du contenu de leurs trafics internet. Ces frais suppl�mentaires seront r�percut�s sur les consommateurs. Ce qui est en contradiction avec le concept de neutralit� du Net (Net Neutrality) et favoriserait la cr�ation d�un �Internet Premium� donc moins global et balkanis� ; - les Etats-Unis craignent de perdre leur influence sur l�internet ; - les mesures de cybers�curit� peuvent �tre mises � profit par des Etats pour un contr�le du contenu des r�seaux. Ces appr�hensions peuvent �tre class�es en trois cat�gories principales : - les frais suppl�mentaires qui pourraient �tre pr�lev�es par les entreprises de t�l�communications pour utilisation des services de l�internet ; - la capacit� des Etats � censurer et � ne pas respecter les libert�s ; - la mise sous contr�le international de l�internet et la perte de l�influence sur l�internet. Quelles est la position de ITU ? L�UIT souhaite rester neutre dans le d�bat. Dans un souci de transparence, elle a mis sur son site le projet d�ordre du jour de la conf�rence WCIT pour le rendre accessible au public et a lanc� des invitations jusqu�au 3 novembre afin que des suggestions soient faites. Le secr�taire g�n�ral de l�UIT a d�clar�, lors d�une conf�rence aux Etats-Unis, que la WCIT ne va pas discuter de la mise sous contr�le international de l'Internet et qu�il est contre la restriction de la libert� des personnes et de la libert� d'expression ; cependant l'id�e de s�parer la supervision des t�l�communications de celle de l'internet par l�UIT est �manifestement ridicule�, car qui peut faire aujourd�hui la diff�rence en termes de trafic passant � travers les r�seaux entre les voix, la vid�o et les donn�es ? La question du r�le de l�UIT sur l�internet reste donc pos�e m�me si la conf�rence n�arrive � aucun accord. Enjeux et positions de quelques Etats... L'acc�s aux rapports pr�paratoires de la WCIT �labor�s par les Etats �tant limit� uniquement � l'UIT et � ses Etats membres, le site WcitLeaks (comme WikiLeaks) a �t� cr�� et une invitation faite aux personnes poss�dant ces rapports pour les transmettre anonymement. On pourra y trouver les rapports des pays arabes, de l�Union africaine des t�l�communications, de la Russie, de la Chine, des Etats-Unis, de l�Iran, etc. Les m�dias fonctionnent gr�ce � la publicit�, et les revenus publicitaires constituent la recette principale. Google a environ 50% des revenus publicitaires en ligne. Dans le futur, Google, Facebook et quelques entreprises internet mondiales peuvent monopoliser la majeure partie des revenus publicitaires mondiaux. Qu'adviendrait-il alors des m�dias des pays en voie de d�veloppement ? Mis � part le pr�judice financier, c�est aussi une menace pour les m�dias s�exprimant en langues locales et donc une menace culturelle et politique. Les enjeux sont donc commerciaux, culturels et politiques. Etats-Unis US House of Representatives ou Chambre des d�put�s qui a soulev� la question de la Conf�rence WCIT et qui a fait part de ses pr�occupations concernant les propositions pour un contr�le international de l�internet a vot� � l�unanimit� contre. L�Aambassador Terry Kramer, qui conduit la d�l�gation am�ricaine, a d�clar� que les Etats-Unis �ne soutiendront pas le moindre effort pour �largir la port�e de la RTI afin de faciliter toute censure du contenu ou de bloquer la libre circulation des informations et des id�es�. Le S�nat am�ricain a transmis une lettre � Hillary Clinton, secr�taire d�Etat, lui demandant de former une alliance pour soutenir la position am�ricaine. A bon entendeur ! Concernant l�aspect s�curitaire de l�internet dont la s�curit� nationale en d�pend, les Etats- Unis consid�rent que le forum le plus appropri� est le Conseil de s�curit� o� ils ont le droit de veto. F�d�ration de Russie La Russie a assur� que le public doit avoir acc�s aux t�l�communications et services sans restriction sauf dans le cas o� ils sont utilis�s pour interf�rer dans les affaires du pays, porter atteinte � sa souverainet�, sa s�curit� nationale, son int�grit� territoriale, � la s�curit� du public ou des autres Etats, ou pour divulguer des informations � caract�res sensibles. La F�d�ration de Russie demande � l'ONU de prendre en charge les aspectscl�s de la gouvernance de l'internet comme elle est pour le changement du statut de l�ITR, pour l��tendre � l�internet et la mise sous contr�le international de l�ICANN. Sur le plan financier, elle demande la taxation en fonction du type de trafic internet. Sur le plan de la cybers�curit�, la Russie demande qu�il lui soit accord� l�importance voulue pour prot�ger l�internet ainsi que la prise en charge des dangers que l�internet pose aux enfants. Chine La Chine, qui partage les points de vue russes, fait une distinction cruciale entre s�curit� de l'information et la cybers�curit�. En termes plus clairs, les Chinois souhaitent pouvoir avoir acc�s au contenu du trafic sur internet (l�information) pour le contr�ler, car la question du contenu dans le cyberespace est aussi importante que la protection de la structure physique et technique du cyberespace. Ils craignent que les �informations � ou le contenu dans le cyberespace ne puisse �tre utilis� pour d�stabiliser les Etats et affaiblir la souverainet�. Union europ�enne La Commission europ�enne d�fend le principe d�un internet libre et ouvert visant � garantir la libert� d'expression. Elle a pris position contre la proposition de l�Etno visant � taxer en fonction du type de trafic. Pays arabes Plusieurs propositions soul�vent la question de l'acheminement des communications et consid�rent qu�un Etat membre de l�UIT a le droit de savoir comment son trafic est achemin� sur le Net. Ils ont aussi fait des propositions contre la militarisation de l�Internet ; question que la Russie et la Chine ont �galement soulev�e. Deux poids, deux mesures Les pays occidentaux, en contradiction avec le contenu de leurs propositions, proc�dent � des filtrages et ont d�j� vot� un nombre important de lois tr�s liberticides concernant le cyberespace provoquant d�importantes manifestations de protestations aux Etats-Unis, en Europe et en Australie : Stop Online Piracy Act (SOPA), Protect IP Act (PIPA) et Anti-Counterfeiting Trade Agreement (ACTA), loi Hadopi en France, etc. Les cybermenaces Le caract�re global des cybermenaces, l�augmentation en nombre et en sophistication des malwares, parfois d�velopp�s par des Etats, exige une coop�ration internationale pour les contrer efficacement. Malgr� les diff�rentes interpr�tations et perceptions du cyberespace, la WCIT et le dialogue international sur la cyber s�curit� devraient arriver � un certain degr� de consensus plus facilement sur certains points rassembleurs comme la cybercriminalit� et le cyber terrorisme qui constituent une menace majeure pour les individus, les Etats et les soci�t�s. La militarisation de l�internet peut-elle rendre impossible tout accord sur l�internet ? L'utilisation du cyberespace � des fins militaires est une pr�occupation grandissante ainsi que l�utilisation de malwares ou cyberarmes comme le Stuxnet, Flame ou Night Dragon par des Etats pour le sabotage des infrastructures sensibles et l�espionnage. La cyberattaque, ayant attir� l�attention du monde sur ce nouveau ph�nom�ne, est celle contre les installations nucl�aires de l�Iran et qui a sabot� 10 000 centrifugeuses, 60 000 ordinateurs et retard� son programme nucl�aire de deux ann�es au moins. Le co�t du Stuxnet, d�velopp� certainement par un Etat, est estim� � 100 millions de dollars. Un co�t estim� accessible � presque tous les pays. Beaucoup de pays ne cachent plus leurs intentions de militariser le cyberespace ou l�internet. Les Etats-Unis, la Chine, Isra�l, l�Iran, etc., ont d�j� annonc� la cr�ation de cybercommandements et de cyberarm�es. Les cyberguerres ne sont plus des guerres du futur, elles sont d�j� une r�alit�. Une situation nouvelle o� le cyberespace devient le 5e champ de bataille et qui compliquera tout accord sur l�internet y compris lors de la WCIT de Duba�. Conclusion Pendant que des Etats discutent encore sur la n�cessit� de prot�ger l�internet, de faire-valoir la souverainet� dans le cyberespace, de la pr�servation d�un internet libre et accessible � tous, que les compagnies de t�l�communications s�inqui�tent quant � elles du manque � gagner ; les hacktivistes, les cybercriminels et les cyberespions continuent � tirer profit d�une situation tr�s lucrative, caract�ris�e par la lenteur des Etats � r�agir contre la cybermenace, le manque de coop�ration internationale, le d�veloppement intensif de malwares de plus en plus sophistiqu�s et disponibles pour une vente libre sur l�internet � des prix accessibles. La cyber s�curit� n�a pas la priorit� qu�elle m�rite. Les soci�t�s sont devenues d�pendantes des cyber syst�mes qui sont � l�origine du d�veloppement et de la cr�ation de biens. Mais leur utilisation est accompagn�e de risques qu�il faut g�rer. Selon des donn�es, ces syst�mes, qui sont class�s parmi les infrastructures sensibles, sont victimes de 30% des cyberattaques. Ils sont la cible privil�gi�e des Etats.Comme pour le terrorisme, qui constitue lui aussi une menace globale, un accord international en cybers�curit� est difficilement imaginable dans l�imm�diat � cause des diff�rends �num�r�s plus haut. Mais ces param�tres restrictifs ne devraient pas exclure, en attendant, la possibilit� d�une coop�ration b�n�fique pour tous dans des secteurs comme la cybercriminalit� et le cyberterrorisme. A. D. (*) Officier sup�rieur en retraite Directeur d�une soci�t� de s�curisation des r�seaux Enseignant de cybers�curit� � l�Ecole nationale sup�rieure de sciences politiques