Selon la définition du philosophe Daniel Salvatore Schiffer, « la déconstruction du mythe des révolutions arabes » organise la faillite de la transition des incertitudes politiques économiques et sociales. « C'est une bien étrange et paradoxale conception de la démocratie qu'ont tous ces intellectuels, les plus médiatisés surtout, continuant à vanter aveuglément, contre l'évidence quotidienne, les prétendus mérites de ce que l'air du temps, souvent férus de slogans à l'emporte-pièce, baptisa, avec un enthousiasme défiant tout réalisme, du glorieux nom de « printemps arabe », écrit-il, dans une contribution parue dans le site « observateur plus ». Il se prévaut de « quelque lucidité intellectuelle », par delà les formes du manichéisme ambiant et le conformisme en vigueur, pour pointer du doigt l'« inquiétante involution » qui a consacré la confiscation du « beau printemps arabe » menacée par le retour aux affaires de l'International terroriste. Le cas syrien représente l'antithèse la plus consensuelle de la prévalence des affidés d'El Qaïda, structurés autour de l'incontournable Front Al-Nosra, blacklisté par les Etats-Unis et l'Union européenne, prêtant allégeance au successeur de Ben Laden, l'Egyptien Aiman Al-Zawahiri, déclarant, à la fin janvier 2012, le « djihad » et trônant, bien au-delà de l'armée libre de Syrie (ALS) laminée, sur la noria des organisations armées (le front islamique ou l'autre FIS de moindre envergure). La face immergée de Jabhat Al Nosra, mobilisant près de 20.000 combattants du monde entier (Irak, Turquie, Afghanistan, Pakistan, Bangladesh, Tchétchénie, Tunisie, Libye, mais aussi du Canada, de Belgique et probablement d'autres pays d'Europe) et dirigée par l'ancien Afghan, Souleymane Khaled Derwich alias Mohamed El Jolani officiant il y a peu à côté de Zerkaoui, représente la réalité tangible de l'Internationale terroriste, terrassée en Afghanistan, tapie dans les zones tribales pakistanaises et rêvant de nouveaux sanctuaires érigés en « système de franchise régionale ». Le scénario est validé par le veto de Washington à tout armement de l'opposition qui tomberait droit dans l'escarcelle de Front Al Nosra ravi de l'aubaine. Il l'est davantage par le choix de la solution négociée privilégiée par Washington et Moscou pour faire barrage aux options aventurières des va-t-en-guerre et au péril terroriste. L'effet syrien est donc révélateur du paradoxe du « printemps arabe » secrétant la dualité entre les frères musulmans aux commandes de l'Etat, en Egypte et en Tunisie, en concurrence avec le radicalisme salafiste. Pour la première fois, le démembrement de la cellule d'El Qaïda au Caire, « sur le point de lancer des attaques suicides contre une ambassade occidentale et des cibles égyptiennes, révélées par le ministre de l'Intérieur, Mohamed Ibrahim, a levé le voile sur la menace terroriste confinée jusque-là dans la péninsule du Sinaï rythmée par les attaques dirigées contre les forces de l'ordre égyptiennes et Israël. En Tunisie, le défi d'Ansar Eddine, dirigé par Abou Ayad dûment recherché pour son implication dans l'assaut mené contre l'ambassade américaine (septembre 2012) consomme la « rupture du pacte » clairement exprimé dans la décision de tenir, le 19 mai 2013, le congrès constitutif à Kairouan, malgré l'interdiction des autorités tunisiennes et la déclaration de guerre proférée contre le gouvernement dirigé par le « frère ennemi » d'Ennahda accusé de déviationnisme. Dans un communiqué, publié le 12 mai sur sa page officielle Internet, le mouvement Ansar Eddine a appelé ses partisans « à tenir bon devant les ennemis et les amis... et à ne pas céder d'un pouce sur ce que nous avons si durement acquis ». Le passage à l'acte, concrétisé par l'attaque de l'ambassade américaine, décline tout naturellement sur la bataille militaire des monts de Chaâmbi et du Kef qui continue la longue dérive terroriste inscrite dans les combats livrés aux forces de sécurité, les importantes saisies de stock d'armes dans le Sud et les événements sanglants de Rouhia et de Bir Ali Benkhelifa. A son apogée, la montée de la violence insurrectionnelle des deux groupes du Kef et de Chaâmbi, « lié à la phalange Okba Ibnou Nafaâ qui est lié à El Qaïda », selon le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Mohamed Ali Aroui, ne fait plus mystère du danger terroriste décrété « sans avenir » par le leader d'Ennahda, Rached Ghannouchi. L'épreuve de feu de Kairouan sera assurément décisive pour le gouvernement accusé jusque-là de laxisme, voire de complaisance avec l'aile radicale décidée de braver tous les interdits et de camper à la périphérie de Tunis. Le bras de fer est lancé dans un climat d'effervescence alimenté par les inquiétudes de la société civile et la classe politique manifestant contre « le terrorisme » officiellement admis par le gouvernement. De la même manière, la « menace potentielle et imminente » a fait fuir les apôtres du printemps libyen, pliant bagages et abandonnant à son triste destin le peuple libyen pris dans l'étau des milices dictant leur loi et la montée en puissance des organisations terroristes qui attendent leur heure. Londres, relayé par Washington, Paris et Berlin ont quitté l'enfer libyen des attaques menées contre les représentations diplomatiques et les institutions de transition assiégées et vidées de toute substance. Moins apparente, l'empreinte d'El Qaïda est toutefois bien réelle. Elle s'est manifestée au grand jour lors de l'attaque du consulat américain de Benghazi, le 11 septembre 2012. Cette ville mythique vouée au statut du sanctuaire inviolable par le fait qu'elle reste un vivier et le point d'ancrage des mouvements islamistes. Le constat est lourd de signification : le « printemps arabe » confisqué et miné dans ses fondements, assure-t-il la mue d'El Qaïda ? Présente en force, en l'espace de quelques mois, en 2011, dans au moins quatre pays concernés par le processus de changement (Tunisie, Egypte, Yémen et Libye), l'arc en ciel des Ansar Eddine constitue, aux yeux du chercheur américain Aaron Y. Zelin, une « nouvelle tendance » qui prône un « discours international et agit à l'échelle locale. De façon moins académique ; du pur cru d'El Qaïda dans des versions locales. C'est ce que l'universitaire Mathieu Guidère, professeur d'islamologie à l'université de Toulouse, appelle « une mutation d'El Qaïda ». La filière tunisienne est confiée à l'ancien Afghan, Seifallah Ben Hassine alias Abou Ayad, soupçonné responsable de la mort du commandant Massoud, arrêté en Turquie, extradé en 2003, condamné à 63 ans de prison avant de profiter de l'amnistie de mars 2011. Les Ansar tunisien et égyptien sont respectivement dirigés par les cadres locaux, en la personne de Mohamed El Zaoui et le cheikh Ahmed Chaouch, bénéficiant de l'amnistie post-révolution. « Tous les partisans de la Charia (lire Ansar Eddine) ont suivi le même processus, en se présentant, d'abord comme des groupes politiques, assure l'islamologue Mathieu Guidère. Leurs « cadres » ont la même origine, ils sont plutôt marqués par la guerre en Irak que par l'Afghanistan, mais, pour moi, leur hésitation du début de la politisation est en train de prendre fin pour dériver vers des groupes armés ». Si la menace est prise au sérieux par les puissances mondiales et les dirigeants du « printemps arabe, l'hypothèse du rôle historique des Ansar Eddine, tenu auparavant par les « combattants de la liberté » en Afghanistan, est mis en avant. Le réquisitoire du député indépendant belge, Laurent Louis, interpellant le ministre des Affaires étrangères, éclaire sur les enjeux réels. « Le gouvernement israélien, qui se croit tout permis, est donc allé frapper la Syrie, dont Damas à plusieurs reprises. Israël a ainsi démontré clairement aux yeux de tous, les enjeux du conflit... Le but est de détruire la Syrie telle que nous la connaissons aujourd'hui pour diviser le pays, affaiblir l'Iran et permettre le projet du « Grand Israël ». Du Nil à l'Euphrate, recouvrant la Palestine historique, le Liban, bien sûr la Syrie, la Jordanie et une partie de l'Irak et de l'Egypte. Tout bénef pour Israël et comme le disait le philosophe Bernard Henri Levy en sioniste pleinement assumé : « Les printemps arabes, c'est bon pour Israël. »