L'intégrisme, même s'il désigne, à l'origine, les courants religieux orthodoxes et traditionalistes qui estiment détenir la vérité absolue qu'ils veulent imposer à tout le monde par tous les moyens, il n'en englobe pas moins les adeptes de pensées modernes, y compris les sciences. Ainsi, il existe des intégristes dans différentes pensées, telles que les pensées économiques, politiques et sociales. A ce titre, le capitalisme, qui s'impose à l'humanité depuis au moins trois siècles, dispose de gouvernements intégristes qui en font la vérité absolue que tous les peuples doivent admettre et en appliquer les préceptes à la lettre. Les idéologues et les relais médiatiques du capitalisme ont réussi un glissement sémantique de concept «intégrisme» pour le limiter aux seuls aspects religieux et plus particulièrement à l'Islam. La «vérité» capitaliste est aussi métaphysique que les vérités religieuses mais la première dispose de l'arme nucléaire, la seconde d'une horde de terroristes créée et formée dans les laboratoires de l'Occident et chargée de faire diversion dans les pays visés par le prosélytisme capitaliste. Les missionnaires chrétiens n'ont-ils pas précédé les invasions occidentales en Afrique, en Amérique latine et en Asie ? N'ont-ils pas servi de Sherpas aux armadas européennes qui ont conquis le Sud au nom de la civilisation ? Si l'alliance de l'Eglise et des colonialistes était explicite, l'alliance entre le Capital et le terrorisme est aujourd'hui implicite. Le sens étymologique de démocratie n'a pas échappé non plus à la déformation. Là où les peuples décident d'une direction qui n'agrée pas le capitalisme mondial, l'Occident réagit et fait barrage à la dynamique enclenchée comme en Palestine, au Venezuela ou, des années plus tôt, au Nicaragua. Tout autant que les missions civilisatrices ayant justifié les occupations coloniales, la démocratie et les droits de l'Homme sont désormais le Cheval de Troie des puissances occidentales pour justifier leurs ingérences et interventions militaires dans les pays du Sud. L'Union européenne a tenté de conquérir pacifiquement les marchés du Sud de la Méditerranée à travers deux formules qui ont toutes deux échoué : le processus de Barcelone et l'Union pour la Méditerranée. Ces démarches ne visaient pas uniquement une conquête économique et l'élargissement de la zone d'influence, mais surtout le contrôle des richesses des pays du Sud qui doivent ouvrir davantage leurs économies aux capitaux et aux marchandises européennes sans contrepartie technologique et de savoir-faire. Par ricochet, ces deux processus espéraient une normalisation des relations d'Israël avec les pays de la région arabe qui refusaient toute normalisation avant l'avènement de l'Etat de Palestine. En fait, le processus de Barcelone et l'UPM étaient aussi des tentatives vaines de l'Union européenne pour reprendre l'initiative dans le conflit du Moyen-Orient et se libérer progressivement de la mainmise des Etats-Unis qui font la pluie et le beau temps dans la région. Naïvement, l'Union européenne pensait que la chute du Mur de Berlin signifiait la fin de l'hégémonie américaine et de sa tutelle sécuritaire sur l'Europe. Ce qui explique d'ailleurs les résistances de certains pays européens à Washington, quand la première guerre du Golfe a sonné le glas de Saddam. Pour court-circuiter les projets et velléités européennes, les Etats-Unis ont concocté dans leurs laboratoires le fameux Grand Moyen-Orient qui s'étend de l'Atlantique à l'Afghanistan et qui consistait à faire de cette immense et riche région musulmane un espace homogène politiquement et économiquement, une zone tampon face à la Chine et à la Russie et un réservoir énergétique et un marché au profit des Etats-Unis. Après le péril rouge qu'incarnait le Bloc de l'Est au sein du Pacte de Varsovie, et qui justifiait la sainte alliance du Bloc de l'Ouest au sein de l'Otan, le péril vert est devenu la menace suprême pour l'Occident. Grâce à cette nouvelle menace créée et entretenue par Washington pendant des années, les Etats-Unis ont réussi à redonner un nouveau souffle à l'Otan, à rétablir la cohésion sécuritaire de l'Occident et à s'imposer comme leader incontesté du bloc capitaliste pour des décennies.
Printemps des uns, automne des autres La conséquence logique des stratégies capitalistes pour maintenir l'hégémonie de la triade (Etats-Unis, Union européenne et Japon) sur l'humanité, est manifeste dans la majorité des pays du Sud, notamment arabes où la dislocation sociale a ouvert des brèches béantes ayant permis au radicalisme religieux de s'incruster et de s'imposer comme menace contre les fondements historiques des nations et des Etats. Les révoltes arabes n'ont fait que libérer les démons de l'histoire et exacerber les contradictions historiques, sans pour autant que des alternatives sérieuses et salvatrices prennent forme. Depuis deux ans, l'instabilité et l'insécurité sont les caractéristiques essentielles des dynamiques pensées dans les laboratoires occidentaux et mises en œuvre dans des terrains minés. Tous les analystes affirment qu'on assiste aujourd'hui à une «montée en puissance des combattants étrangers en Syrie, trafic d'armes transnational en Afrique du Nord, guerre ouverte au Mali : les djihadistes ont élargi leur champ d'action à la faveur des bouleversements du printemps arabe». Selon des chancelleries, ce constat a précipité l'intervention française au Mali, et la prise d'otages à In Amenas en Algérie en serait une autre illustration. La secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton l'a souligné mercredi dernier devant le Congrès, alors qu'elle était interrogée sur une autre attaque retentissante, celle contre le consulat américain de Benghazi (Libye) en septembre. «Les révolutions arabes ont bouleversé l'équilibre des forces dans toute la région (et) l'instabilité au Mali a créé un refuge pour des terroristes qui cherchent à étendre leur influence et à perpétrer davantage d'attaques», a-t-elle jugé. Moscou va plus loin, pointant du doigt depuis des mois le péché originel que constitue l'intervention occidentale en Libye. «Les actes de terrorisme sont quasi-quotidiens, les armes se répandent sans le moindre contrôle, l'infiltration des combattants (étrangers) est en cours. On a l'impression que le Mali est la conséquence de la Libye, et la prise d'otages en Algérie en est un signal d'alerte très inquiétant», a noté mercredi dernier le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov. Les Occidentaux commencent aussi à s'inquiéter de la djihadisation du conflit syrien où les islamistes, appuyés par des centaines voire des milliers de combattants étrangers, gagnent du terrain. Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po Paris, rappelle qu'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et d'autres existaient bien avant le printemps arabe, avec une dimension «gangstéro-djihadiste» alliant guerre sainte et activités criminelles. Cependant, les régimes issus des révolutions, en voulant se démarquer de la logique du tout répressif des dictatures déchues, n'ont pas évalué l'ampleur de la menace. «Les nouveaux régimes ont beaucoup de mal à placer le curseur. Par exemple, la libération d'Abou Iyadh a été une erreur majeure : ce n'était pas un prisonnier d'opinion mais un collaborateur de longue date d'Al-Qaïda», explique M. Filiu, auteur de «Le nouveau Moyen Orient». Abou Iyadh, vétéran de l'Afghanistan, a été amnistié en Tunisie où il est désormais la figure de proue d'une mouvance salafiste à l'essor inquiétant. Il est l'organisateur présumé de l'attaque de l'ambassade américaine à Tunis. Le président tunisien Moncef Marzouki a récemment admis ne pas avoir «mesuré» le danger que représentaient ces groupes, et que son pays se transformait en «corridor» pour les trafiquants et les extrémistes. Si le désert que se partagent la Libye, la Tunisie, l'Algérie et le Mali est depuis longtemps une zone de trafic, la présence accrue de djihadistes lui a donné une nouvelle dimension. Le caractère transnational de l'offensive d'In Amenas en a été un exemple édifiant : 32 assaillants de sept nationalités (Tunisiens, Algériens, Mauritaniens, Nigériens, Egyptiens, Maliens, Canadiens) venant du Nord-Mali avec sans doute une aide logistique islamiste libyenne. Conscients du problème, Tripoli, Alger et Tunis ont annoncé en janvier vouloir coordonner «armées et services de renseignements pour empêcher tout ce qui peut influer sur (la) sécurité (...): armes, drogue, traite des personnes et terrorisme». D'autres observateurs jugent que la situation au Sahel et au Mali montre que les jihadistes se sont adaptés aux réalités post-révolutionnaires. Le professeur d'islamologie Mathieu Guidère souligne que l'avènement de gouvernements dirigés par des islamistes en Tunisie ou en Egypte a contraint les mouvements les plus radicaux à identifier de nouvelles cibles. «Les partis les plus radicaux ont eu tendance à aller vers le Sud, vers des pays comme le Mali, à majorité musulmane où la problématique précédente continue de se poser, avec un gouvernement se revendiquant laïc, occidentalisé, moderniste», souligne l'auteur des «Cocus de la révolution». L'intervention française est, dès lors, «une erreur stratégique» qui menace de transformer le Mali en «terre de jihad» comme l'Irak des années 2000, craint l'expert. S'il est normal qu'un pays défende ses intérêts, est-il normal qu'il use de tous les moyens machiavéliques pour y parvenir ? Si le terrorisme aujourd'hui est un fait accompli qui constitue une menace sérieuse à combattre, n'est-il pas urgent, en parallèle, que les pays victimes des stratégies capitalistes prennent conscience et constituent un front unique contre l'hégémonisme et le diktat occidental qui n'aura pas de répit avant d'avoir mis à genoux tous les peuples qui défendent leur souveraineté sur leurs richesses naturelles ?