Photo : Makine F. Islam traditionnel contre islamisme, légalité contre volonté populaire. Le problème que vivent les habitants d' Aghribs, village de 3000 habitants, tient un peu de tout cela. A notre arrivée hier sur les lieux, les membres du comité de village qui conteste la construction d‘une nouvelle mosquée ne se font pas prier pour nous raconter la genèse et le développement d'une affaire qui a débuté il y a trois années. Longtemps préservé des manifestations ostentatoires de la pratique religieuse, le village avait fait en Sidi Djaffar un lieu de culte immémorial. Pour toute la région d'Ath Djennadh, il était un espace où se réglaient à l'amiable les conflits. L'émigré en partance, le malade, le couple stérile quêtaient la baraka de Sidi Djaffar et on jurait par son nom. « Beaucoup de mariées sont passées par là pour la fatiha et nous avons eu ici cheïkh Akli qui a dirigé la prière et orienté les fidèles durant plus de cinquante ans », raconte un membre du comité. Notre interlocuteur met en avant le fait que « nous avons construit avec nos propres moyens une maison où habite toujours l'imam. Nous en avons toujours un par ici ». Celui qui appelle les fidèles à la prière et dirige celles-ci à la mosquée de Sidi Djaffar se tient à l'écart de la querelle. Son rôle comme dans les communautés rurales se confine à distiller la bonne parole et à bénir les rassemblements collectifs. « Nous ne sommes pas de ceux qui ont une conception militariste de la religion, qui use de propagande pour influencer. Ce sont les gens qui vont vers l'imam et non l'imam qui vient vers les gens, du moins pas avec les méthodes des salafistes », nous explique un jeune. Le mot est lâché. C'est la nouvelle conception de l'islam favorisée par les chaînes satellitaires et les médias qui rejette le culte des saints comme Sidi Djaffar et l'attachement des hommes et femmes de ce village à une approche moins rigoriste qui s'affrontent. Le fossé est grand. Pour les uns, il s'agit de se racheter une âme, de répandre une religion alors que pour les autres, l'urgence est de la protéger de la manipulation. « En construisant un grand bâtiment qui contiendra aussi une bibliothèque, des douches, nous voulons diffuser la véritable culture islamique. L'évolution se fait aussi en matière de religion », estime un des hommes qui rejette ce qu'il appelle le « diktat de la majorité, si elle a tort ». « On sait où ces apprentis sorciers ont mené le pays et la société en détruisant un socle qui n'a jamais été un germe de discorde chez nous », réplique un autre. C'est un classique que les Algériens vivent ces dernières années et qui a mené à une impasse sanglante. CENTRE CULTUREL OU POSTE AVANCÉ ? Une quinzaine d'habitants ont décidé d'ériger une nouvelle mosquée. Ils avancent des arguments. L'ancienne qui vient d'être rénovée avec une belle et sobre architecture qui tranche avec les laideurs qu'on voit partout est située sur une colline qui est aussi le cimetière du village. « L'islam nous interdit de prier sur les ossements des morts », dit l'un d'entre eux qui estime aussi que la future mosquée doit être aussi un centre pour la culture islamique et non un simple lieu de prière. Sous couvert du comité de village, deux membres de cette association religieuse ont pu obtenir une autorisation sur un terrain. De tout temps, il était une partie attenante au marché qui se tenait le lundi. On y attelait et vendait les bêtes. Les opposants à ce projet voient les choses différemment. « C'est une minorité agissante qui ramène des étrangers et profite de financements occultes pour ériger une sorte de tête de pont du salafisme qui projette de remodeler nos coutumes ancestrales ». Au niveau de l'APC gérée par le RCD, le vice-président, M. Mendaci nous explique que « e maire a certes autorisé l'association mais à partir du moment que la majorité de la population s'oppose à cette construction, se pose un problème de quiétude et d'harmonie, il est revenu sur sa décision ». « Tant le premier magistrat que le chef de daira d'Azzefoun ont sommé l'association d'arrêter les travaux », nous dit-il. L'affaire est pendante au niveau de la Cour suprême mais l'association qui ne possède nul siège estime de son droit de continuer les travaux. Elle accuse ouvertement le RCD d'être derrière l'ostracisme dont elle est l'objet. Le président de ce parti ainsi qu'un député sont cités. Ces derniers se considèrent avant tout citoyens d'Aghribs en diapason avec les inquiétudes que suscite le projet. D'ailleurs deux des promoteurs de ce projet sont des parents du Dr Sadi. Pour un fervent défenseur de la laïcité qui prône la stricte séparation de la religion et des affaires de la cité, l'affaire traduit le recul des idées d'ouverture qui ont nourri tout une génération qui a connu une autre école et d'autres idéaux. Certes, on pointe du doigt des milieux qui financent le projet mais un peu partout dans les villages de Kabylie apparaissent des personnes qui s'inscrivent en faux contre l'islam traditionnel. « S'ils s'imposent ici, nous dit un vieux émigré qui rappelle n'a jamais connu une telle « fitna », ils tenteront d'élargir leur action malfaisante ailleurs ». Le 5 août dernier, une grande waada qui a attiré des centaines de visiteurs a été organisée à Sidi Djaffar qui ravira tout être soucieux de méditation ou de prière. Devant le tumulte d'ici bas, on envie presque les morts qui dorment à l'ombre bienfaisante d'un gigantesque chêne vert. L'édifice est un joyau où s'entremêlent signes de la nation et de la région. Juste en face, trois jours après, les membres de l'association sont revenus à la charge pour ériger la nouvelle mosquée. Des affrontements ont eu lieu et l'endroit qui est un terrain communal est plat après la destruction des piliers. Les habitants que nous avons approchés se disent déterminés à faire face et envisagent de porter l'affaire en justice. Selon eux, « ils ont eu gain de cause avec l'APC mais pas contre une majorité qui depuis des décennies a eu son mot à dire sur tout ce qui se fait ici. Pas seulement la mosquée mais aussi l'assainissement, l'eau potable ou l'ouverture d'une piste ». L'affaire vécue par certains comme un drame intime tant les familles sont imbriquées et proches pourra connaître un épilogue heureux. Au niveau de la direction des affaires religieuses, on ne cherche pas à envenimer les choses et même l'APC pourra réaffecter le terrain pour un autre projet. Sevrée de travail et de loisirs, la jeunesse d'Aghribs peut espérer un projet plus consensuel.