Trois ans après le soulèvement contre le régime de l'ancien président Zine El Abidine Benali, la Tunisie ne s'est, toujours pas, débarrassée de ses vieux démons. Devant, initialement, célébrer la fin de l'ordre ancien au profit d'un nouvel Etat libre et démocratique, ce troisième anniversaire vient rappeler aux Tunisiens l'amère réalité d'une douloureuse transition politique qui n'en finit pas, malgré la désignation, au forceps, d'un nouveau Premier ministre technocrate chargé de parachever ce processus, sur fond d'une grave crise politique. « Alors que la première année de transition a tenté d'identifier et d'ajuster la réponse politique et constitutionnelle à la demande économique et sociale, le régime issu du scrutin du 23 octobre 2011 a définitivement déplacé le débat public vers une pure et dure course au pouvoir durable, à la domination et au contrôle des rouages de l'Etat », constate l'éditorial du quotidien La Presse, en soupçonnant les nouveaux « maîtres » de Carthage, en référence aux responsables d'Ennahda et leurs alliés d'Etakattol, et le PRC du président Moncef Marzouki, de velléités « contre-révolutionnaires ». Déçus, les Tunisiens ont tenu, hier, à exprimer leur ras-le-bol d'un pays pâtissant d'une économie en chute libre avec son lot de nouveaux chômeurs (24,4% de la population active et 57,1% des diplômés). Dans la rue, près d'un millier de militants syndicaux et de partis de gauche ont manifesté, hier, en ordre dispersé, scandant des slogans hostiles au pouvoir. « La révolution a unifié le peuple, la Troïka (coalition au pouvoir) nous a divisés », scandaient-ils. Du côté des partisans du pouvoir, le parti de Rached El Ghannouchi a rassemblé quelque 300 manifestants. Les mouvements islamistes radicaux, dont le groupe djihadiste interdit Ansar Asharia, ont rassemblé, sous haute surveillance policière, quelques centaines de personnes place de la Casbah, où siège le gouvernement. Du côté officiel, on se fait timide. La venue à Sidi Bouzid, épicentre de la révolution, du chef de l'Etat, du Premier ministre Ali Larayedh et du président de l'Assemblée nationale constituante Mustapha Ben Djaâfar a été annulée « pour raison de sécurité ». Le président et le Premier ministre se sont contentés d'une cérémonie d'hommage discrète au palais présidentiel. « Nous avons le droit d'être fiers de ce que nous avons réalisé », s'est défendu M. Marzouki évoquant la « liberté d'expression et d'opinion » et le fait que la Tunisie n'ait pas sombré dans la violence « contrairement à d'autres pays » du « printemps arabe ».