Un peu plus d'un demi-siècle après son ignoble assassinat par un commando de la sinistre OAS, à quelques jours du cessez-le-feu qui avait mis fin à la guerre dans notre pays, l'écrivain Mouloud Feraoun ne cesse de susciter de l'intérêt. Son fils Ali entretient pieusement sa mémoire en multipliant des conférences sur la vie et l'œuvre de l'auteur du « Fils du pauvre ». Dimanche, il était encore en route vers Bejaïa. Cherchell, Paris, Alger et Tizi. Ses haltes sont nombreuses. Il y a quelques mois paraissait chez Actes Sud une biographie « Mouloud Feraoun - Un écrivain engagé » signée par José Lenzini, et qui n'avait pas manqué de susciter quelques remous. Le livre devrait être bientôt disponible en Algérie après que Medias Plus a racheté les droits. La fondation qui porte son nom envisage de faire paraître bientôt une revue « Fouroulou ». « la Cité des roses ». Son roman posthume devrait paraître dans une nouvelle réédition sous son vrai titre « l'Anniversaire ». Les lecteurs trouveront aussi une version complète du « Journal » en français et en arabe. A vrai dire, ce qui a toujours focalisé les débats autour de ce grand écrivain, ce sont ses positions au cours de la guerre de libération qu'il avait entièrement passée en Algérie. Durant celle-ci, il était enseignant dans la région de Larbaâ Nath-Irathen qu'il quittera pour assurer des cours dans des écoles de la capitale, notamment au Clos Salembier. « Le Journal » dont la rédaction fut entamée le 1er novembre 1955 témoigne au jour le jour de ses déchirements, de ses doutes mais aussi de ses certitudes qui s'affirmaient et se renforçaient au fil des semaines. S'il ne fut pas exilé, s'il n'était pas un militant encarté, ses pensées telles que traduites dans son journal ou ses lettres ne laissent aucun doute sur son désir de voir ses compatriotes se défaire d'une pesante occupation avec son lot d'injustices et d'inégalités. Il était un homme multiple, au cœur d'une histoire tourmentée où ils cherchaient sans doute à concilier des aspirations contraires sans perdre de vue l'essentiel. Dans son journal, s'il se montre parfois sceptique sur les méthodes des « fellaghas », il y a davantage de passages sur les exactions de l'armée coloniale, comme les viols. On sent l'homme berné par les illusions de la France qui a toujours tourné le dos aux Algériens, et qui en un siècle n'a rien changé à leur misérable condition. Un parcours en nuances A l'heure où tant en Algérie qu'en France, le débat autour de la mémoire s'enflamme, le romancier se retrouve fatalement sous les feux de la rampe. A l'encontre d'un Mohammed Dib, dont un livre comme « l'Incendie » avait un caractère politique très affirmé, chez Feraoun, les drames humains prenaient le pas sur l'engagement au premier degré. Il demeura au milieu des siens, au point, raconte son fils, « qu'il disait toujours nous au lieu de je ». Il ne se sentait bien qu'au milieu des siens dont il savait dépeindre les qualités et les travers. Il se révéla fin psychologue dans « la Terre et le Sang » ou « les Chemins qui montent ». Il n'était pas engagé dans les organisations politiques comme le Parti communiste ou le PPA-MTLD, dont les journaux comme « Algérie Républicain » appartenant au premier, reçurent les premiers écrits de Dib et de Kateb Yacine qui y travaillèrent comme journalistes. Il y a sans doute l'empreinte de sa formation à l'Ecole normale de Bouzaréah, et le caractère de l'homme qui l'éloignait des joutes passionnées et souvent hypocrites des politiques. Il devait croire aux vertus de l'instruction qui avait permis à l'enfant issu d'une modeste famille qu'il était, d'améliorer son sort. Est-ce que pour autant Feraoun était-il un « tiède » ou, pire, un indifférent au sort de son peuple ? Ses livres témoignent du contraire. Il a su restituer avec des mots simples la misère qui poussait les siens à l'exil, leur attachement à leurs traditions. Sa proximité avec des auteurs comme Camus ou Emmanuel Roblès n'était pas suffisante pour en faire un chantre de l'assimilation, encore moins de la colonisation. Récemment, à ceux qui lui reprochaient d'avoir chargé injustement Emmanuel Roblès, Ali Feraoun rétorqua que l'amitié entre les deux hommes était entachée par quelques procédés du second. Il avait ainsi, à en croire son fils Ali, retranché des chapitres quand parut au Seuil « Le Fils du pauvre », et des passages dans le « Journal » où la description des horreurs des commandos de l'OAS à Bab El Oued étaient décrites, ont été expurgés à la sortie du livre en 1962. Souvent cité comme un des auteurs les plus lus d'Algérie pour la simplicité de son style et la vérité de ses sentiments, la vie de Feraoun, tout en nuance et modération, reste aussi un lieu d'interrogation sur des sujets qui interpellent encore au présent comme l'engagement, les identités plurielles, l'usage des langues...