Ahmed Benzelikha plonge sa plume dans l'onde d'une fontaine publique pour peindre à l'aquarelle la vie des Algérois dans leur cité qui, de « bien gardée », devient, du fait de l'archaïsme ottoman et de trahisons multiples, « ville à prendre », à la veille de juillet 1830. L'auteur s'attache à restituer l'ambiance qui règne à Alger, en ces derniers mois de Régence ottomane, à travers la vie du quartier Sidi-Hassan qui foisonne autour d'une très vieille fontaine « habitée par la baraka du Seigneur des mondes ». La fontaine, figure allégorique et central du récit, érigée sur un emplacement fort ancien, par Sidi-Hassan, saint homme venu d'Andalousie, à l'orée d'une forêt de Bouzaréah, porte un blason stylisé sur lequel on peut lire la devise des musulmans d'Espagne « Wa La Ghalib Ila Allah » (Il n'y a de vainqueur que Dieu). Autour de cette source vivifiante (l'Islam) et dans cet Alger printanier puis estival des veilles de conquête, les cieux sont sereins, les matinées radieuses, les chardonnerets en cage donnent la réplique à la musique des jeunes filles en fleur dans des patios pleins de fraîcheur. « La lumière était partout, elle courait, sautait, gambadait dans les moindres recoins, pianotant sur les bocaux de verre remplis d'olives et de légumes, caressant les jarres de toutes formes et de toutes tailles (...) scintillant majestueusement enfin sur le luth, la Kouithra, dont jouait Hasna à l'aide d'un plectre en plume d'aigle. » Dans cet éden quasi mythique, d'un âge d'or citadin d'avant la conquête, Hasna et Mourad, amis d'enfance, se fiancent malgré leurs origines respectivement kabyle et saharienne. Enérgies patriotiques Da Mohand, le père de Hasna, maître menuisier qui subodore l'arrivée des envahisseurs, a créé, dans le plus grand secret, une arme révolutionnaire avec la bénédiction du Bey Ahmed de Constantine, un des rares Koulouglis (descendants de janissaires et de femmes autochtones) à avoir accédé à la caste dominante. La chaloupe en bois indestructible du Hodna, armée de « Tarek », torpilles réalisées à partir des indications de l'ouvrage de Nadjm Al-Dine Hassan Al-Rammah, scientifique syrien du XIIIe siècle, est une arme à même de riposter efficacemment aux troupes françaises puissamment armées. » La chaloupe était magnifique, son bois brillait tant qu'il semblait s'en dégager une lumière, un rayonnement ». Mais alors que les énergies patriotiques se concertent et s'organisent pour mettre encore une fois une armée ennemie en échec, les « grands » de la Régence d'Alger s'enferrent dans des stratégies archaïques qui, ralliées par la voracité des traitres, assurent la victoire au corps expéditionnaire français. La résistance populaire, symbolisée par celle du couple Hasna-Mourad dont les parents ont été tués, s'allume alors pour ne plus s'éteindre. Le récit d'Ahmed Benzelikha, imprégné d'un patriotisme empreint de nostalgie, est d'une écriture fluide agréable à lire. Riche de références historiques et scientifiques qui ne l'alourdissent pas, le roman fait des incursions dans le merveilleux, le fantastique et l'ésotérique. Ces incursions dans un monde « autre » apparentent le récit de Benzelikha à un conte moderne, léger comme ce songe shakespearien dont est tissée « la substance même de la vie ». Ahmed Benzelikha, né en 1967, essayiste et chroniqueur de presse, également linguiste et financier, a occupé de hautes fonctions dans les secteurs des finances, l'énergie et la communication. APS « La Fontaine de Sidi-Hassan », 157 pages, édité chez Casbah en 2014.