Début de l'an 1900. Au centre-ville, s'élève la grande mosquée, connue sous le nom de Djamâ Kebir, aux lourdes murailles badigeonnées à la chaux, d'où surgit un haut minaret bâti en briques superposées entre des colonnettes en onyx et enjolivé au sommet, de petits carreaux de céramique, scintillant au soleil comme des pierreries. A l'angle de cette mosquée, construite en 1136, émerge du mur blanc qui borde la place, avec la koubba ovoïde du marabout à l'ombre duquel repose le roi Yaghmoracen, fondateur de la dynastie des Béni-Zeiyanides. Le minaret de ce temple islamique, irrécusable témoin de son prestige religieux, est demeuré vivace en l'esprit traditionnaliste des modernes indigènes. Autrefois, on y accédait par un étroit couloir à ciel ouvert où, de l'aube au crépuscule, vont et viennent silencieux, avec un glissement de babouches sur le sol raboteux, de longs burnous flottants et des haïks hermétiquement clos. A droite, en face de l'une des portes du temple, dans un mur blanc, s'ouvre, encadré de faïence vernissée, polychrome, l'entrée d'une petite chapelle où, depuis plus de quatre siècles, dorment de leur dernier sommeil les vénérés marabouts Ahmed Ben Lahcene El Ghomari et Sidi Bouziane. Par une lucarne grillagée, percée dans le mur, à hauteur d'homme, on entrevoit vaguement, en un funèbre clair-obscur, les sarcophages recouverts de dentelle blanche où gisent, côte à côte, ces deux saints musulmans, tandis qu'aux murs de ce sombre oratoire, sont appendus de nombreux cierges peinturlurés de couleurs vives. A l'intérieur, on pouvait voir des femmes, à demi-voilées, assises sur un divan recouvert d'étoffe bariolée, attendant patiemment que le marabout daignât exaucer leurs prières et leur octroyer la guérison de leurs infirmités physiques. Au dehors, accroupis sur un banc rustique, quelques musulmans devisaient, à voix basse, en ce décor illuminé d'une clarté bleuâtre, où se mouvaient sans bruit des allées et venues de burnous, pareils à des lévites de moines cheminant dans la blancheur d'un cloître. C'était vendredi, jour où les fidèles se rendent en foule à la mosquée. Une oriflamme verte flottait dans l'azur, au faîte du minaret où monte le muezzin pour annoncer la prière. A l'intérieur, les fidèles accroupis sur des nattes d'alfa ornées d'arabesques en laine polychrome égrenaient leur chapelet en récitant à voix basse des versets du Coran, tandis que, les pieds chaussés de babouches jaunes, nous cheminions à pas lents, parmi les blanches arcades retombant sur les colonnes de pierres qui supportent la voûte du saint édifice. Des lustres de pacotille, des lanternes adornées de verroteries multicolores, se balançaient çà et là, rompant la blanche monotonie qui m'environnait. L'un de ces lampadaires était un grand lustre primitif, en bois de cèdre noirci par la patiné du temps, offert jadis par le roi maure Yaghmoracene. Le mihrab, où se place l'imam pour dire la prière, était surmonté d'une coupole ajourée où s'enchevêtraient, en un inextricable fouillis, de bizarres arabesques, comme découpées à l'emporte-pièce. L'entrée du mihrab était auréolée de fines sculptures en plâtre, pareilles à un voile de guipure antique d'une merveilleuse exécution, d'une incomparable maîtrise. De riches tapis de laine multicolores recouvraient çà et là les nattes de sparterie, comme en un somptueux palais d'une éblouissante blancheur, tandis que les marches du grand escabeau qui s'érige, près du mihrab et où se tient le muphti pendant la prière, étaient tapissées de drap rouge frangé de vert. De l'intérieur du temple on apercevait, sous le ciel bleu, la cour où les disciples font leurs ablutions, au pied du minaret, dans une vasque d'onyx d'où l'eau lustrale s'épandait sur de larges dalles de marbre crevassées, qui attestaient encore la splendeur d'autrefois. La mosquée de Tlemcen a été complètement réhabilitée lors de la manifestation « Tlemcen capitale de la culture islamique 2011 ». *D'après Charle Berbet, la Perle du Maghreb