Peu de personnes s'amuseraient à se rendre au bureau en short, et elles seraient, fatalement, la risée de tout le monde si, d'aventure, elles chausseraient des baskets après avoir enfilé un costume. De tout temps, le maillot de bain était indispensable pour faire trempette. Nul ne se souvient ou a rapporté que cet attirail avait une vertu diabolique. Les femmes, en un ou deux pièces, n'étaient pas victimes de viols sur nos plages. Si celles-ci furent toujours des terrains de séduction, elles n'étaient jamais ce que les puristes qui réinventent la morale veulent nous faire croire. L'estivant qui songe d'abord à se rafraîchir, à se rincer, même les yeux parfois, n'est pas un animal en rut. Un père de famille qui voit sa fille se baigner n'est pas ce malade que les vrais malades sont seuls à voir. Mettant en avant un souci de pudeur et une gêne parfois naturelle, un réflexe moins exigeant dans d'autres domaines, comme la fixation des prix pour ne citer qu'un seul, d'aucuns ne supportent plus la nudité sur le sable. C'est peut-être le même personnage qui vous aura vendu la bouteille d'eau minérale à 50 DA qui, le soir, va maudire ceux qu'il accuse de perversité. Cela a été toujours ainsi. Les mauvaises intentions c'est, dit-on, comme l'argent ; pour en prêter, il faut en avoir. Au fil des années, tout un ensemble d'accoutrements aussi hétéroclites qu'étranges sont devenus une norme qui n'étonne plus. Par un effet d'accoutumance, nul ne s'avise à rappeler à ces personnes qui entrent dans l'eau avec des habits que c'est un danger pour eux d'abord, car, comme la conduite, la nage a ses règles. Si chacun se mettait à enfreindre celles-ci, on finirait par voir des personnes revêtues de burnous et kachabias fendre l'eau. Qui les en empêcherait ? Au train où vont les choses, pourquoi pas ? On voit de plus en plus d'hommes qui ne se contentent plus du short jusqu'au tibia censé éloigner le mal. Au nom de la liberté et d'une certaine conception de la pudeur, on peut même comprendre ces femmes qui ne consentent plus à se défaire d'une robe traditionnelle, voire d'un djilbab et de... lunettes. Le jeune qui croit que tout son charme réside dans sa poitrine et cache celle-ci avec un tricot de peau peut susciter aussi l'indulgence. Au moins, il porte un bermuda. Mais cet homme dont les habits sont encore encroûtés de peinture et qui, toute honte bue, se lance du haut d'un petit rocher dans un plongeon ? Et cet autre qui sort directement de sa cuisine et qui n'attend pas un moment de pause. Il traverse au milieu des estivants et se plante au bord de l'eau. Non, il n'est pas là pour sentir les caresses de l'air marin. Il s'arrête un long moment et puis s'avance. Au bout d'un moment on ne voit que sa tête et sa chemise bouffante. Personne ne fait presque plus attention à lui. A peine si on perçoit un léger sourire moqueur chez quelques personnes. Nul ne s'étonne. Comme si, dans nos plages, désormais, comme un peu partout, nul n'est au bout de la surprise.