Tandis que la Turquie appelle tout le monde à intervenir en Syrie pour « stopper » l'avancée fulgurant des terroristes de Daech qui s'apprêtent à contrôler la ville syrienne stratégique, à majorité kurde, de Kobané (Aïn al-Arab en arabe), longeant ses frontières, son président, Recep Tayyip Erdogan, rechigne à envoyer ses troupes, malgré le feu vert de son Parlement. Il conditionne tout déploiement de son armée par la mise en place d'une « zone tampon » doublée d'une zone d'« exclusion aérienne » le long de la frontière syro-turque. Le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu a répété, hier, que son pays était opposé aux terroristes de Daech autant qu'il l'était au régime du président syrien Bachar al-Assad « responsables, selon lui, de tous ces événements tragiques ». La Turquie est accusée par ses alliés d'avoir longtemps soutenu les mouvements syriens les plus radicaux, dont Daech, pour accélérer la chute du régime de Damas. Cette position irrite les Etats-Unis, qui exigent l'implication militaire de la Turquie sans pour autant plier devant la condition d'Erdogan. Le secrétaire d'Etat américain John Kerry a indiqué que l'instauration d'une zone tampon valait « la peine d'être examinée », pas plus. La Maison-Blanche a ultérieurement précisé que l'idée n'était « pas à l'étude pour le moment ». Plus préoccupé par l'avancée des terroristes de Daech, le département d'Etat a annoncé, jeudi dernier, l'envoi cette semaine d'une équipe militaire à Ankara pour des discussions avec des responsables militaires turcs. Le même jour, deux envoyés spéciaux américains, le patron de la coalition internationale, le général à la retraite John Allen et son adjoint Brett McGurk, discutaient avec le Premier ministre turc des « mesures urgentes et rapides » à prendre pour enrayer l'avancée des terroristes. Du côté de l'Otan dont la Turquie est membre, la prudence est de rigueur : « L'instauration d'une zone tampon dans le nord de la Syrie défendue par la Turquie ne figure pas encore au menu des discussions », a déclaré le secrétaire général de l'Alliance atlantique, Jens Stoltenberg, à l'issue d'un entretien avec le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu. Alliée de Damas et opposée à la méthode de la campagne militaire de la coalition internationale conduite par les Etats-Unis contre Daech en Syrie, la Russie a estimé que toute création d'une zone tampon dans le nord de la Syrie nécessite le feu vert du Conseil de sécurité. L'autre allié de la Syrie, l'Iran, a entamé des discussions avec la Turquie pour tenter de la dissuader d'envahir le Nord syrien et de créer la zone tampon, tout en luttant contre Daech. Le vice-ministre des Affaires étrangères iranien, Hossein Amir-Abdollahia, espère d'Ankara « un rôle positif ». Sur le terrain à Kobané, après avoir pris le tiers de la ville, les terroristes cherchaient, hier, à chasser les forces kurdes pour pouvoir parvenir au poste frontière avec la Turquie. Pis, ils se sont emparés du quartier général des forces kurdes, appelé le « carré de sécurité », suscitant un vent de panique et dans la région et dans le monde. D'où la réaction urgente de l'émissaire spécial des Nations unies pour la Syrie, Staffan De Mistura, qui a appelé les autorités turques à laisser les volontaires kurdes syriens retraverser leur frontière pour défendre Kobané. Cette situation a aggravé le mécontentement des Kurdes de Turquie dont les violentes manifestations contre la politique d'Ankara ont fait, jusqu'à hier, au moins 31 morts et 360 blessés, dont 139 policiers, selon le ministre turc de l'Intérieur, Efkan Ala. Le président Erdogan a, lui, menacé de prendre « toutes les mesures nécessaires » pour réprimer les manifestants qu'il accuse de tentative de « sabotage » des pourparlers de paix en cours entre Ankara et le principal parti kurde de Turquie, le PKK.