Le président turc Recep Tayyip Erdogan a haussé le ton contre les manifestants kurdes à l'origine des émeutes qui ont fait plus de 20 morts dans le sud-est de la Turquie, alors que les violences se poursuivaient dans tout le pays. Comme son Premier ministre Ahmet Davutoglu la veille, l'homme fort du pays a dénoncé une tentative de sabotage des pourparlers de paix engagés par son régime avec les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et a promis de réprimer sans ménagement les fauteurs de troubles. Nous ne tolérerons pas le moindre acte de menace ou d'intimidation qui remet en cause la paix en Turquie, sa stabilité et sa sécurité et nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour combattre tous ceux qui commettent de tels actes d'intolérance, a déclaré M. Erdogan dans un message écrit. Ces violences, sans précédent ces dernières années, ont débuté lundi soir, après un appel lancé par le principal parti kurde du pays à manifester contre le refus du gouvernement de venir en aide militairement à la ville frontalière kurde de Syrie Kobané, assiégée par les djihadistes du groupe Etat islamique (EI). Les incidents ont été particulièrement violents mardi et ont dégénéré en batailles rangées entre militants proches du PKK et partisans de mouvements islamistes. Au lendemain d'une nouvelle nuit de violences dans le sud-est comme à Istanbul, des incidents ont opposé jeudi manifestants et forces de l'ordre, notamment à devant l'université technique du Moyen-Orient d'Ankara. Les gendarmes ont également ouvert le feu dans la province de Mardin, tuant un protestataire et en blessant cinq autres, selon la maire de la ville Zeynep Dipçik. Ce nouveau décès porte le bilan des affrontements a au moins 23 morts, de très nombreux blessés et d'importants dégâts matériels. Selon l'agence de presse Dogan, la police a par ailleurs arrêté 217 personnes depuis mardi.
Appel au calme Dans la ligne de mire du gouvernement islamo-conservateur, le coprésident du Parti démocratique populaire (HDP) Selahattin Demirtas a exhorté ses troupes au calme. Nous voulions montrer notre soutien à Kobané en manifestant, mais sans piller, détruire ou tuer, a-t-il déclaré devant la presse. Nous demandons à tous de nous écouter. Mais il a maintenu la pression sur les autorités en exigeant un geste de leur part, au nom du chef emprisonné du PKK Abdullah Öcalan. Nous (...) exhortons toutes les parties à accélérer le dialogue et les négociations afin d'écarter tout danger de provocations et de massacres, a ajouté M. Demirtas. M. Öcalan a averti Ankara que la chute de Kobané signifierait la fin du processus de paix et laissé au gouvernement jusqu'au 15 octobre pour le relancer. Pour faire baisser la tension, le chef du Parti républicain du peuple (CHP, opposition sociale-démocrate) a proposé une opération militaire ponctuelle. Limitons l'objectif de notre armée à sauver Kobané et à en chasser l'EI, a suggéré Kemal Kiliçdaroglu. Le ministre des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu a exclu par avance cette option, jugeant pas réaliste une intervention terrestre de la seule Turquie. Le Parlement turc a accordé il y a une semaine son feu vert formel à une intervention militaire contre les djihadistes en Irak et en Syrie. Mais le gouvernement s'y est jusque-là refusé, redoutant qu'elle ne renforce le régime de Damas. Imposé dans six provinces du sud-est, le couvre-feu militaire, une mesure inédite depuis vingt-deux ans, a été levé jeudi dans la journée. Il a toutefois été rétabli en soirée à Diyarbakir, la capitale kurde de Turquie où au moins dix personnes ont été tuées. Amnesty International a exhorté le gouvernement turc à agir pour enrayer la spirale de la violence en s'engageant à enquêter rapidement sur (...) les circonstances dans lesquelles tant de manifestants sont morts ou ont été blessés.
Les Kurdes résistent toujours à Kobané Les djihadistes de l'Etat islamique (EI) ont continué hier d'avancer vers le centre de la ville kurde syrienne de Kobané, dont ils contrôlent plus d'un tiers. Le refus turc d'envoyer des troupes à la rescousse suscite la frustration de Washington et la colère des Kurdes, qui continuent à manifester. A Kobané, "les djihadistes se sont emparés de l'immeuble des Assayech (forces de sécurité kurdes) dans le nord-est de la ville" et se rapprochent du "carré de sécurité", secteur abritant les bâtiments officiels et le commandement des Unités de protection du peuple (YPG), la principale milice kurde, selon le directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) Rami Abdel Rahmane. Jeudi en fin d'après-midi, les combats de rue se poursuivaient dans la ville, a ajouté l'OSDH, faisant état de tirs d'obus sur les positions kurdes.
Seuls face aux djihadistes Le rapport de forces dans cette troisième ville kurde de Syrie est défavorable aux Kurdes, l'EI possédant des véhicules blindés et des armes sophistiquées. Et le Pentagone, qui a confirmé cinq tirs aériens jeudi contre des positions de l'EI, a reconnu que "les frappes à elles seules ne vont pas sauver" la ville. Washington souligne la nécessité d'avoir des troupes "compétentes" en Syrie, mais la Turquie voisine refuse d'intervenir au sol.