C'est un long parcours qui s'ouvre avec une enfance ressuscitée dans la petite ville de Sedrata (Souk Ahras) où Lamine Bechichi voit le jour en 1927. Elle était dominée par la figure du père, un azharien qui à cette époque partit en Egypte avant de se retrouver au Soudan. Ironie de l'histoire, le fils sera nommé ambassadeur dans ce pays. La lecture de ce premier tome permet de se replonger dans les années 40 et 50 et mieux connaître le système d'enseignement colonial et traditionnel, les mœurs dures et authentiques de l'époque où il était plus facile de se rendre à Tunis qu'à Alger. L'ancien ministre eut un itinéraire singulier. Fils d'un responsable de l'association des ulémas, Cheikh Belkacem Ellidjani, qui construisit la première mosquée de Sedrata, il intégra les rangs du PPA. Il bifurqua surtout en 1946, alors qu'il était un élève de la prestigieuse Zitouna, vers le théâtre et surtout la musique. Il s'initia au violon et au solfège sous la direction d'un professeur italien Nicola Bonura dans le Tunis cosmopolite dont il dévoile les multiples facettes. De nombreuses personnalités qui ont marqué l'histoire de l'Algérie comme Ben Badis, Cheikh Ibrahimi, Ferhat Abbas. Abane Ramdane ou Mehri, Boussouf, Krim ou M'hamed Yazid sont évoquées au gré des souvenirs qui déroulent le séjour de près d'une dizaine d'années à la Zitouna puis au sein des services de l'information du FLN. Parfois sous des aspects inattendues, où l'humour n'est pas exclu même chez les personnalités religieuses. Rencontres et climat de suspicion Après son départ de l'Algérie à la fin de l'été 56 pour fuir les menaces des autorités coloniales alors qu'il dirigeait une école des ulémas dans sa ville natale, Lamine Bechichi va retourner à Tunis où il sera versé dans le domaine de l'information et de l'activité politique. Même s'il a déjà publié un livre sur le sujet, on peut retrouver tout à la fois les circonstances de la naissance de « Résistance Algérienne » puis d'« El Moudjahid » où il était secrétaire de rédaction. A à ce titre, il fut un témoin de premier plan au fait de nombreux événements. Il évoque entre autres la censure en 1958 d'un édito d'Ahmed Boumendjel par les autorités tunisiennes suite à un éditorial contesté par le régime de Bourguiba. Il évoque aussi dans le détail le fonctionnement de la radio de la résistance qui, de Tunis, diffusait quotidiennement, pendant une demi-heure, des informations et des commentaires dans trois langues (arabe, tamazight et français). Serge Michel était chargé du commentaire dans cette dernière langue. C'est un autre versant de la révolution que présente l'auteur qui narre ses rencontres avec de grands artistes comme Missoum, dont il plaide la réhabilitation, Jean Amrouche, ou l'écrivain Youssef Idriss au Caire décrit avec beaucoup de nostalgie. Dans la capitale égyptienne, Bechichi remplace Mohamed Harbi chargé du bureau de l'information. Il raconte aussi les premiers pas de Warda sur la scène artistique. Il n'omet pas le climat de suspicion dont il fut victime. Outre des événements liés à son parcours personnel qui s'est prolongé au Caire à partir de septembre 1960, on retrouve aussi de nombreux témoignages sur des événements qui ont marqué l'histoire (8 mai 1945, attaque de Sakiet Sidi Youssef ; AML..).... Lamine Bechichi séjourna ainsi en juillet 45 à Guelma chez sa grand-mère. Il rapporta de nombreux témoignages sur l'ampleur et la sauvagerie de la répression. Il s'attarde aussi beaucoup sur un épisode peu connu, celui de « ce parti el Qawmi El Djazairi » qui en pleine guerre mondiale monta des opérations, derrière les lignes des forces alliées stationnées en Algérie, de complicité avec les nazis. Le livre se termine sur le retour après sept ans d'absence dans la ville de l'enfance dont l'auteur a fourni une véritable histoire et une description savoureuse et minutieuse de la vie quotidienne de sa famille, de ses notables et de ses personnages attachants et excentriques. « Moudhakirat El Amine Bechichi » Editions Anep - 339 pages