Pour Soumia Salhi, militante féministe et syndicaliste, les droits des femmes et la lutte contre les violences faites aux femmes constituent l'une des primautés majeures de l'Algérie, notamment en matière de respect et de protection des droits de l'homme. La violence à l'égard des femmes est-elle réellement une violation des droits de l'homme ? Votre question révèle combien notre pensée est formatée par la société patriarcale. Oui, je vous le confirme, les femmes sont des êtres humains et il faut changer la vision patriarcale qui domine le monde entier. Cette violence revêt différentes formes. Plus de détails ? Elles sont de tout ordre : social, économique, familial, sexuel, physique, psychologique. L'ampleur de ces violences est encore largement sous-estimée. Elles sont socialement tolérées. Lorsqu'on parle de violences ciblant les femmes, très souvent on passe sous silence le fait qu'elles sont exercées par des hommes. Ces violences sont liées à une discrimination fondée sur l'appartenance sexuelle. Coups et blessures, humiliation, insultes, harcèlements moral et sexuel, publicité sexiste, prostitution, discrimination, pauvreté, privation de nourriture, de soins, de liberté...Vous savez, dans la rue comme à la maison, au travail ou en famille, les violences touchent toutes les femmes, quels que soient leur âge, leur milieu, leur niveau d'instruction, leur culture ou leur religion. La famille est l'endroit le plus dangereux du monde pour les femmes. Il est établi que 70 % des meurtres de femmes ont lieu suite à des violences domestiques. Le monde du travail est, lui aussi, un lieu où les femmes sont exposées aux violences sexistes de certains hommes : harcèlements sexuel et moral, chantage... La travailleuse y est d'autant plus vulnérable qu'elle est en situation de subordination hiérarchique et de précarité. Votre conférence s'inscrit dans quel cadre ? Celle-ci s'inscrit dans le cadre de nos actions d'information et de sensibilisation à la nécessité de lutter efficacement contre cette violence particulière, pour le respect de la dignité de la femme. Peut-on avoir une idée sur le nombre de femmes violentées durant cette année ? Quelles en sont les causes ? La réalité est bien plus grave que les chiffres livrés tant par les institutions que par les associations. Il s'agit de milliers de victimes selon les derniers chiffres disponibles : en 2012, sur 5.797 cas déclarés il y a eu 261 décès et 297 viols. 7.010 cas ont été déclarés pour les 9 premiers mois de 2013 dont 200 viols et 27 décès. Pour saisir les causes de cette violence particulière, il faut interroger les rapports de pouvoir. L'origine est donc la volonté d'exercer un pouvoir sur les femmes en niant leur désir, en violant leur intégrité. Des mesures importantes ont été prises par la communauté internationale en vue d'éliminer la violence à l'égard des femmes. Qu'en est-il en Algérie ? Les luttes des femmes dans le monde et dans notre pays font reculer les préjugés réducteurs et imposent des lois et des politiques en faveur des femmes. L'émergence massive des femmes dans la vie publique ne pouvait se satisfaire du statut traditionnel dévolu aux femmes. Pourquoi les femmes rurales ou nomades n'ont jamais été un sujet abordé lors des manifestations, comme le 8 mars, au point où cette communauté est complètement marginalisée ? Notre message concerne toutes les femmes. Celles qui portent les luttes sont les plus visibles. Mais les femmes dans le monde rural bougent, s'organisent, revendiquent et agissent. De nombreuses mères célibataires endurent le calvaire. Quelle lecture en faites-vous ? Notre société est en pleine mutation. Dans ce cas comme dans d'autres, ces changements se font avec la souffrance des femmes. Quels moyens pour endiguer le phénomène ? Il faut protéger les victimes par la loi qui doit signifier l'interdit, il faut punir les coupables et il faut surtout agir pour réduire l'intolérance sociale. Nous luttons pour que la société change en faveur des femmes et pour que la loi soit plus cohérente et plus efficace. Un dernier mot ? Un hommage aux victimes qui ont souffert pour s'en sortir et à celles qui ont rendu visible ces violences. Elles ont contribué à la dignité de toutes les femmes.