Soumia Salhi fait partie de ces grandes dames qui se sont distingués par leur lutte acharnée et inépuisable pour la défense des droits des femmes en général mais surtout contre les violences faites aux femmes. Aujourd'hui à la veille d'une journée de commémoration du 8 mars, elle a bien voulu nous accorder cet entretien où elle revient en tant que présidente de la commission nationale des femmes travailleuses de l'UGTA sur la lutte contre le harcèlement sexuel en milieu professionnel. Soumia Salhi fait partie de ces grandes dames qui se sont distingués par leur lutte acharnée et inépuisable pour la défense des droits des femmes en général mais surtout contre les violences faites aux femmes. Aujourd'hui à la veille d'une journée de commémoration du 8 mars, elle a bien voulu nous accorder cet entretien où elle revient en tant que présidente de la commission nationale des femmes travailleuses de l'UGTA sur la lutte contre le harcèlement sexuel en milieu professionnel. Aujourd'hui, pour elle et pour toutes les militantes et féministes de penser à toutes les femmes qui souffrent en silence, à celles qui ont pris la parole qui nous ont engagées dans la voie de la recherche de solutions à cette atteinte à la dignité humaine. Car, le harcèlement sexuel non reconnu par la justice mène la victime à la dépression, la rend incapable de travailler, détruit sa famille... Le Midi Libre : Depuis déjà quelques années, nous parlons d''un phénomène qui ne cesse de prendre de l'ampleur : Le harcèlement sexuel au travail. Quels sont les signes qui peuvent alerter la femme ? Soumia Salhi : Le harcèlement sexuel est défini comme toute forme de comportement verbal, non-verbal ou corporel de nature sexuelle dont celui qui s'en rend coupable sait ou devrait savoir qu'il affecte la dignité de la personne sur le lieux de travail. Le harcèlement sexuel c'est : «Une conduite (non-verbale, verbale ou physique) à connotation sexuelle et/ou sexiste non désirée par autrui et imposée le plus souvent par un supérieur hiérarchique : affiches pornographiques, plaisanteries obscènes, attouchements, propositions sexuelles, des commentaires grossiers ou embarrassants, invitations gênantes, avances avec promesses ou... menaces de représailles à l'appui... Alors le harcèlement sexuel dans le cadre d'une relation de travail peut se manifester de multiples manières, souvent de façon répétitive. La perception de ce comportement est le critère essentiel de qualification ou non de harcèlement sexuel, selon que la personne visée l'accueille favorablement ou au contraire ne le souhaite pas. L'OIT considère le harcèlement sexuel comme une question relevant des droits de l'homme, notamment comme un problème de discrimination vis-à-vis des femmes. A votre avis quelles sont les causes qui ont laissé ce phénomène se propager aussi vite dans notre société ? C'est en allant à la rencontre des femmes travailleuses que nous nous sommes heurtées à la réalité économique des contrats à durée déterminée devenue le mode d'emploi le plus fréquent. En période de plein-emploi, les violences sur les lieux de travail sont relativisées par la possibilité qui s'offre aux victimes de quitter leur travail sans peur de ne pas en retrouver. En toute logique, lorsque le travail se fait rare, cette stratégie de la fuite n'est plus possible et la loi du silence s'installe à propos du harcèlement au travail. Ainsi le travail précaire est à l'origine du chantage. Quelles est la stratégie adoptée par la Commission nationale des femmes travailleuses de l'UGTA dans sa lutte contre le harcèlement sexuel en milieu professionnel ? Notre campagne contre le harcèlement sexuel s'est articulée premièrement autour de la bataille pour le respect de la dignité des travailleuses. Puis dans l'action juridique pour inscrire, dans le code pénal, un article qui qualifie précisément le harcèlement sexuel et qui le pénalise. Lorsque nous avons décidé de mener cette campagne, sous la pression des témoignages qui affluaient dès que les travailleuses avaient la parole en assemblées non mixtes, personne ne croyait à nos chances d'en faire un débat national tant notre société semblait paralysée par la pruderie et le tabou de la sexualité. Pour les uns, nous faisions dans la provocation. Nous allions réveiller les démons. Nous allions prêter le flanc à tous ceux qui traitaient déjà les femmes de voleuses d'emploi, nous allions encourager la stigmatisation du travail féminin...la diabolisation de la mixité. Pour d'autres, nous allions heurter les bons travailleurs qui nous entouraient et de ce fait nous isoler. Quelle a été pour vous la période décisive pour le réveil des consciences contre le harcèlement sexuel ? Alors le 12 mars 2007, la Télévision algérienne a diffusé un reportage réalisé en collaboration avec l'équipe de notre centre d'écoute sur le harcèlement sexuel. Des victimes osaient témoigner, fait inédit en Algérie ! Cette émission a constitué un véritable électrochoc pour la société algérienne et le silence autour du harcèlement sexuel était brisé ! Quels sont véritablement les moyens juridiques dont dispose la femme harcelée ? Le harcèlement sexuel était l'affaire de la victime, enfermée dans une relation duelle avec son harceleur, agresseur, jamais inquiété, protégé par le silence et la culpabilisation importante de la travailleuse. Les moyens juridiques dont nous disposions étaient dérisoires. En mars 2003, nous avons décidé de nous adresser au ministre de la Justice pour demander une législation spécifique afin d'aider les victimes dont les avocats ne pouvaient que recourir à la qualification imprécise et faiblement sanctionnée d' «attentat à la pudeur». Le succès de notre campagne, dans un contexte politique favorable, a permis une décision rapide des pouvoirs publics et l'amendement du code pénal permettant la criminalisation du harcèlement sexuel. LAassemblée nationale adopta le nouveau texte, lors de sa session d'automne. En novembre 2004, la loi était promulguée. Nous avions gagné la bataille juridique. Désormais, les travailleuses pouvaient s'appuyer sur un article de loi. L'article 341 bis stipule: « Est réputée avoir commis l'infraction de harcèlement sexuel, et sera puni d'un emprisonnement de deux(02) mois à un an(01) et d'une amende de 50.000DA à 100.000 DA, toute personne qui abuse de l'autorité que lui confère sa fonction ou sa profession, en donnant à autrui des ordres, en proférant des menaces, en imposant des contraintes, ou en exerçant des pressions, dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle en cas de récidive, la peine est portée au double ». (JORA N°71 du 10/11/2004) Le montant de l'amende a doublé consécutivement aux amendements survenus en 2006( cf article 467 bis du code pénal). Trois éléments sont constitutifs du harcèlement sexuel : l'abus d'autorité, un acte fautif et un résultat. Le premier élément de l'infraction, l'abus d'autorité n'autorise la punition du harcèlement que s'il émane d'une personne qui aurait abusé de l'autorité que lui confère sa fonction et sa profession. Le deuxième élément concerne les actes fautifs par lesquels le harceleur « a donné des ordres, proféré des menaces, imposé des contraintes ou exercé des pressions de nature sexuelle ». Le troisième élément concerne le but des agissements de harcèlement sexuel à savoir l'obtention de faveurs sexuelles. Il ne s'agit pas dans le droit pénal algérien exclusivement de l'employeur, de son représentant mais de toute personne qui aurait abusé de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ou sa profession élargissant ainsi le champ d'application de l'article. On peut en effet y inclure, les éducateurs, les enseignants, les soignants... Croyez-vous que cet article unique peut fournir une définition claire et précise du harcèlement sexuel. ? Non. La lecture de l'article unique ne fournit pas de définition claire du harcèlement sexuel. Il ne propose pas non plus de liste des formes que le harcèlement sexuel peut prendre. Il est ainsi très difficile pour les victimes d'identifier au-delà du sens commun si ce qu'elles subissent peut être qualifié de harcèlement par la justice. Le harcèlement sexuel n'est pas défini en droit par la répétition des faits, un seul fait suffit pour qu'il y ait infraction. Mais pour caractériser des faits de harcèlement, il faut prouver que l'intention de l'auteur a été l'obtention de faveurs sexuelles. Comment apporter la preuve formelle d'une telle intention puisqu'en droit pénal c'est au défendeur d'apporter la preuve de l'infraction? La campagne se poursuit pour obtenir l'inversion de la charge de la preuve ainsi que la protection des témoins. Mais cette disposition unique figure dans le chapitre II « crimes et délits contre la famille et les bonnes mœurs » alors que sa place naturelle est dans le chapitre I « crimes et délits contre les personnes». Cc'est en effet l'intégrité physique et psychologique des victimes qui est d'abord en cause. Quel bilan faites-vous aujourd'hui après des années de luttes et de résistances ? Le rapport de force dans la société, sur ce sujet, a changé en faveur des femmes. Il a ainsi participé à légitimer le travail féminin, à contre-courant de la vague conservatrice. Mais l'évolution des mentalités, en faveur de la victime, ne change pas la réalité d'un patriarcat agressif ni celle d'une précarité qui continue de s'étendre. Les procédures restent pénibles, les représailles administratives accablent les victimes qui osent porter plainte ainsi que les témoins qui leur apportent leur aide. Y-a-t-il des secteurs plus touchés que d'autres ? Aucun secteur, aucun métier n'échappe au phénomène. Il repose sur deux principes. D'abord, le pouvoir de l'agresseur, fort de son poste d'autorité. Ensuite le statut d'infériorité prêté par la société à la femme victime. Nous avons été surprises de découvrir que cela concernait les femmes les plus diverses. De la femme de ménage sans qualification aux personnes les plus instruites disposant parfois d'une responsabilité qui se voient agresser et humilier par leur supérieur. La victime peut être revêtue du djelbab le plus rigoureux, habillée de façon austère ou coquette cela n'a rien changé, elle peut être vieille ou jeune, expansive ou réservée. Les secteurs modernes de la presse, ou des boites d'informatique n'échappent pas plus au phénomène que l'université. Nos témoignages proviennent de tous secteurs, du public comme du privé. Nous savions que l'évocation de la sexualité était un tabou majeur. A notre grande surprise, briser ce tabou a rencontré une large adhésion. Nous savions que les luttes étaient payantes. Nous savions que les femmes pouvaient changer leur regard sur elles-mêmes en découvrant les pouvoirs de l'action collective. Mais dans cette expérience, nous les avons vues se reconstruire en parlant, en se battant pour défendre leurs droits au travail dans le respect et la dignité. Nous les avons vues apprendre la confiance en elles-mêmes et reconquérir l'estime de soi. Elles se sont réhabilitées en tant que travailleuses compétentes socialement et professionnellement. D'abord victimes subissant la stigmatisation sociale et envahies d'un sentiment de culpabilité, elles accèdent ensuite au statut d'être humain à part entière, de femme fière, de travailleuse digne. Notre société est en train d'apprendre à respecter les femmes dans leur nouveau rôle, dans leur nouveau statut. Le Midi Libre : Que reste-t-il à faire aujourd'hui surtout sur le plan juridique ? Nous ne le répèterons jamais assez, l'article 341 bis qui incrimine le harcèlement sexuel est une victoire pour les femmes, une victoire de nos luttes. D'abord sur le plan symbolique, car son existence signifie la condamnation du harceleur et la réhabilitation de la victime. Il n'en a pas toujours été ainsi. Son importance pratique est également considérable : il constitue un point d'appui précieux dans les pénibles procédures entreprises par les victimes. Mais nous avons relevé des insuffisances. La pratique nous a conduites à réinterroger l'article 341 bis du code pénal pour revendiquer son amélioration. Un dernier mot... Les entreprises, les universités.... doivent inscrire dans leur règlement intérieur la sanction du harcèlement sexuel. Les syndicats de travailleurs ou d'étudiants ont le devoir d'inscrire ce point dans les règlements. Il faut impliquer la responsabilité de l'employeur et le syndicat doit jouer son rôle de sensibilisation à la question du harcèlement sexuel. Il doit impérativement soutenir les victimes. Mais c'est à nous, femmes, de rompre le silence, de briser le piège de la peur, d'agir ensemble pour être plus fortes. Aujourd'hui, pour elle et pour toutes les militantes et féministes de penser à toutes les femmes qui souffrent en silence, à celles qui ont pris la parole qui nous ont engagées dans la voie de la recherche de solutions à cette atteinte à la dignité humaine. Car, le harcèlement sexuel non reconnu par la justice mène la victime à la dépression, la rend incapable de travailler, détruit sa famille... Le Midi Libre : Depuis déjà quelques années, nous parlons d''un phénomène qui ne cesse de prendre de l'ampleur : Le harcèlement sexuel au travail. Quels sont les signes qui peuvent alerter la femme ? Soumia Salhi : Le harcèlement sexuel est défini comme toute forme de comportement verbal, non-verbal ou corporel de nature sexuelle dont celui qui s'en rend coupable sait ou devrait savoir qu'il affecte la dignité de la personne sur le lieux de travail. Le harcèlement sexuel c'est : «Une conduite (non-verbale, verbale ou physique) à connotation sexuelle et/ou sexiste non désirée par autrui et imposée le plus souvent par un supérieur hiérarchique : affiches pornographiques, plaisanteries obscènes, attouchements, propositions sexuelles, des commentaires grossiers ou embarrassants, invitations gênantes, avances avec promesses ou... menaces de représailles à l'appui... Alors le harcèlement sexuel dans le cadre d'une relation de travail peut se manifester de multiples manières, souvent de façon répétitive. La perception de ce comportement est le critère essentiel de qualification ou non de harcèlement sexuel, selon que la personne visée l'accueille favorablement ou au contraire ne le souhaite pas. L'OIT considère le harcèlement sexuel comme une question relevant des droits de l'homme, notamment comme un problème de discrimination vis-à-vis des femmes. A votre avis quelles sont les causes qui ont laissé ce phénomène se propager aussi vite dans notre société ? C'est en allant à la rencontre des femmes travailleuses que nous nous sommes heurtées à la réalité économique des contrats à durée déterminée devenue le mode d'emploi le plus fréquent. En période de plein-emploi, les violences sur les lieux de travail sont relativisées par la possibilité qui s'offre aux victimes de quitter leur travail sans peur de ne pas en retrouver. En toute logique, lorsque le travail se fait rare, cette stratégie de la fuite n'est plus possible et la loi du silence s'installe à propos du harcèlement au travail. Ainsi le travail précaire est à l'origine du chantage. Quelles est la stratégie adoptée par la Commission nationale des femmes travailleuses de l'UGTA dans sa lutte contre le harcèlement sexuel en milieu professionnel ? Notre campagne contre le harcèlement sexuel s'est articulée premièrement autour de la bataille pour le respect de la dignité des travailleuses. Puis dans l'action juridique pour inscrire, dans le code pénal, un article qui qualifie précisément le harcèlement sexuel et qui le pénalise. Lorsque nous avons décidé de mener cette campagne, sous la pression des témoignages qui affluaient dès que les travailleuses avaient la parole en assemblées non mixtes, personne ne croyait à nos chances d'en faire un débat national tant notre société semblait paralysée par la pruderie et le tabou de la sexualité. Pour les uns, nous faisions dans la provocation. Nous allions réveiller les démons. Nous allions prêter le flanc à tous ceux qui traitaient déjà les femmes de voleuses d'emploi, nous allions encourager la stigmatisation du travail féminin...la diabolisation de la mixité. Pour d'autres, nous allions heurter les bons travailleurs qui nous entouraient et de ce fait nous isoler. Quelle a été pour vous la période décisive pour le réveil des consciences contre le harcèlement sexuel ? Alors le 12 mars 2007, la Télévision algérienne a diffusé un reportage réalisé en collaboration avec l'équipe de notre centre d'écoute sur le harcèlement sexuel. Des victimes osaient témoigner, fait inédit en Algérie ! Cette émission a constitué un véritable électrochoc pour la société algérienne et le silence autour du harcèlement sexuel était brisé ! Quels sont véritablement les moyens juridiques dont dispose la femme harcelée ? Le harcèlement sexuel était l'affaire de la victime, enfermée dans une relation duelle avec son harceleur, agresseur, jamais inquiété, protégé par le silence et la culpabilisation importante de la travailleuse. Les moyens juridiques dont nous disposions étaient dérisoires. En mars 2003, nous avons décidé de nous adresser au ministre de la Justice pour demander une législation spécifique afin d'aider les victimes dont les avocats ne pouvaient que recourir à la qualification imprécise et faiblement sanctionnée d' «attentat à la pudeur». Le succès de notre campagne, dans un contexte politique favorable, a permis une décision rapide des pouvoirs publics et l'amendement du code pénal permettant la criminalisation du harcèlement sexuel. LAassemblée nationale adopta le nouveau texte, lors de sa session d'automne. En novembre 2004, la loi était promulguée. Nous avions gagné la bataille juridique. Désormais, les travailleuses pouvaient s'appuyer sur un article de loi. L'article 341 bis stipule: « Est réputée avoir commis l'infraction de harcèlement sexuel, et sera puni d'un emprisonnement de deux(02) mois à un an(01) et d'une amende de 50.000DA à 100.000 DA, toute personne qui abuse de l'autorité que lui confère sa fonction ou sa profession, en donnant à autrui des ordres, en proférant des menaces, en imposant des contraintes, ou en exerçant des pressions, dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle en cas de récidive, la peine est portée au double ». (JORA N°71 du 10/11/2004) Le montant de l'amende a doublé consécutivement aux amendements survenus en 2006( cf article 467 bis du code pénal). Trois éléments sont constitutifs du harcèlement sexuel : l'abus d'autorité, un acte fautif et un résultat. Le premier élément de l'infraction, l'abus d'autorité n'autorise la punition du harcèlement que s'il émane d'une personne qui aurait abusé de l'autorité que lui confère sa fonction et sa profession. Le deuxième élément concerne les actes fautifs par lesquels le harceleur « a donné des ordres, proféré des menaces, imposé des contraintes ou exercé des pressions de nature sexuelle ». Le troisième élément concerne le but des agissements de harcèlement sexuel à savoir l'obtention de faveurs sexuelles. Il ne s'agit pas dans le droit pénal algérien exclusivement de l'employeur, de son représentant mais de toute personne qui aurait abusé de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ou sa profession élargissant ainsi le champ d'application de l'article. On peut en effet y inclure, les éducateurs, les enseignants, les soignants... Croyez-vous que cet article unique peut fournir une définition claire et précise du harcèlement sexuel. ? Non. La lecture de l'article unique ne fournit pas de définition claire du harcèlement sexuel. Il ne propose pas non plus de liste des formes que le harcèlement sexuel peut prendre. Il est ainsi très difficile pour les victimes d'identifier au-delà du sens commun si ce qu'elles subissent peut être qualifié de harcèlement par la justice. Le harcèlement sexuel n'est pas défini en droit par la répétition des faits, un seul fait suffit pour qu'il y ait infraction. Mais pour caractériser des faits de harcèlement, il faut prouver que l'intention de l'auteur a été l'obtention de faveurs sexuelles. Comment apporter la preuve formelle d'une telle intention puisqu'en droit pénal c'est au défendeur d'apporter la preuve de l'infraction? La campagne se poursuit pour obtenir l'inversion de la charge de la preuve ainsi que la protection des témoins. Mais cette disposition unique figure dans le chapitre II « crimes et délits contre la famille et les bonnes mœurs » alors que sa place naturelle est dans le chapitre I « crimes et délits contre les personnes». Cc'est en effet l'intégrité physique et psychologique des victimes qui est d'abord en cause. Quel bilan faites-vous aujourd'hui après des années de luttes et de résistances ? Le rapport de force dans la société, sur ce sujet, a changé en faveur des femmes. Il a ainsi participé à légitimer le travail féminin, à contre-courant de la vague conservatrice. Mais l'évolution des mentalités, en faveur de la victime, ne change pas la réalité d'un patriarcat agressif ni celle d'une précarité qui continue de s'étendre. Les procédures restent pénibles, les représailles administratives accablent les victimes qui osent porter plainte ainsi que les témoins qui leur apportent leur aide. Y-a-t-il des secteurs plus touchés que d'autres ? Aucun secteur, aucun métier n'échappe au phénomène. Il repose sur deux principes. D'abord, le pouvoir de l'agresseur, fort de son poste d'autorité. Ensuite le statut d'infériorité prêté par la société à la femme victime. Nous avons été surprises de découvrir que cela concernait les femmes les plus diverses. De la femme de ménage sans qualification aux personnes les plus instruites disposant parfois d'une responsabilité qui se voient agresser et humilier par leur supérieur. La victime peut être revêtue du djelbab le plus rigoureux, habillée de façon austère ou coquette cela n'a rien changé, elle peut être vieille ou jeune, expansive ou réservée. Les secteurs modernes de la presse, ou des boites d'informatique n'échappent pas plus au phénomène que l'université. Nos témoignages proviennent de tous secteurs, du public comme du privé. Nous savions que l'évocation de la sexualité était un tabou majeur. A notre grande surprise, briser ce tabou a rencontré une large adhésion. Nous savions que les luttes étaient payantes. Nous savions que les femmes pouvaient changer leur regard sur elles-mêmes en découvrant les pouvoirs de l'action collective. Mais dans cette expérience, nous les avons vues se reconstruire en parlant, en se battant pour défendre leurs droits au travail dans le respect et la dignité. Nous les avons vues apprendre la confiance en elles-mêmes et reconquérir l'estime de soi. Elles se sont réhabilitées en tant que travailleuses compétentes socialement et professionnellement. D'abord victimes subissant la stigmatisation sociale et envahies d'un sentiment de culpabilité, elles accèdent ensuite au statut d'être humain à part entière, de femme fière, de travailleuse digne. Notre société est en train d'apprendre à respecter les femmes dans leur nouveau rôle, dans leur nouveau statut. Le Midi Libre : Que reste-t-il à faire aujourd'hui surtout sur le plan juridique ? Nous ne le répèterons jamais assez, l'article 341 bis qui incrimine le harcèlement sexuel est une victoire pour les femmes, une victoire de nos luttes. D'abord sur le plan symbolique, car son existence signifie la condamnation du harceleur et la réhabilitation de la victime. Il n'en a pas toujours été ainsi. Son importance pratique est également considérable : il constitue un point d'appui précieux dans les pénibles procédures entreprises par les victimes. Mais nous avons relevé des insuffisances. La pratique nous a conduites à réinterroger l'article 341 bis du code pénal pour revendiquer son amélioration. Un dernier mot... Les entreprises, les universités.... doivent inscrire dans leur règlement intérieur la sanction du harcèlement sexuel. Les syndicats de travailleurs ou d'étudiants ont le devoir d'inscrire ce point dans les règlements. Il faut impliquer la responsabilité de l'employeur et le syndicat doit jouer son rôle de sensibilisation à la question du harcèlement sexuel. Il doit impérativement soutenir les victimes. Mais c'est à nous, femmes, de rompre le silence, de briser le piège de la peur, d'agir ensemble pour être plus fortes.