Le Nigeria exulte. Le géant de l'Afrique a pris rendez-vous avec l'histoire dans un scrutin libre et démocratique que ni le passé tumultueux des « carnages pos-télectoraux » ni le chantage terroriste n'ont réussi à dévier de son cours normal. C'est dans un calme remarquable que le vote, entouré des conditions de sécurité et de régularité, a confirmé la crédibilité incontestable du processus électoral. Avec 2,57 millions de voix d'avance sur le président sortant, le candidat de la coalition de l'opposition (APC), Muhammad Buhari, a remporté la présidentielle indécise et âprement disputée. Tard dans la soirée de mardi dernier, la Commission nationale électorale indépendante (Inec) a annoncé que l'ancien putschiste, Buhari, au pouvoir de décembre 1983 à 1985, avait remporté l'élection avec 15.424.921 voix (53,9% des 28.587.564 suffrages exprimés). Son rival du Parti démocratique populaire (PDP), Goodluck Jonathan, a obtenu 12.853.162 voix (44,96%). Cette victoire marque un tournant majeur. Elle a non seulement rompu avec le putschisme (6 coups d'Etat depuis l'indépendance), mais tracé les sillons d'un avenir démocratique voulu exemplaire. Au pouvoir depuis l'instauration de la démocratie en 1999, le PDP passe le témoin. Légitimement, le président élu a salué la première alternance démocratique et « vraiment historique », en rendant hommage au chef de l'Etat sortant, Goodluck Jonathan. « Notre pays a rejoint la communauté des nations qui remplacent, par les urnes, un président en place au cours d'un scrutin libre et honnête », s'est félicité Muhammad Buhari. L'avancée démocratique assure la transmission pacifique du pouvoir dans un pays fortement miné par les dissensions politiques et les tensions ethniques et religieuses porteuses de dérives sanglantes. Si, effectivement, aucune violence majeure n'a été signalée, tous les regards étaient tournés vers la période post-électorale ouverte traditionnellement à toutes les contestations. Mais les appréhensions ont été définitivement levées par la reconnaissance du verdict final. « A 17h15 exactement (mardi dernier), le président Jonathan m'a appelé pour me féliciter. J'appelle tous les Nigérians à se joindre à moi pour saluer (ses) qualités d'homme d'Etat », a lancé le vainqueur de la présidentielle lors de sa première allocution. C'est donc main dans la main que le Nigeria de Goodluck et de Buhari prend rendez-vous avec son nouveau destin. « Aucune ambition personnelle ne vaut le sang d'aucun Nigérian », a martelé le président sortant, Goodluck Jonathan, qui a reconnu sa défaite. Un geste hautement apprécié par toute la classe politique. La fête est totale. De Kano, la plus grande ville du nord musulman, à Kaduna, au centre, où des affrontements entre chrétiens et musulmans avaient fait près d'un millier de morts lors de la défaite de Buhari à la présidentielle de 2011, en passant par Bornéo, le fief de Boko Haram, le peuple, en communion, a célébré la victoire politique sur les faux clivages et les divisions stériles. Le retour à l'union sacrée, scellée par la victoire électorale puisée aussi bien dans le réservoir naturel du nord musulman, mais aussi dans le soutien du sud chrétien et l'appui stratégique de la capitale économique (Lagos), est le rempart idoine pour défendre une expérience démocratique prometteuse, reconnue par l'Union africaine comme l'expression de la « maturité de la démocratie ». Il reste au Nigeria un ennemi à abattre : Boko Haram qui est coupable de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, selon le conseil des droits de l'homme de l'Onu. En session extraordinaire depuis hier, le Conseil onusien a été destinataire d'une résolution déposée par le groupe des pays africains appelant « la communauté internationale à fournir un soutien actif et multiforme au Cameroun, au Tchad, au Niger, au Nigeria et à tout autre pays affecté par les actions du groupe terroriste Boko Haram ». Un Nigeria démocratique, soutenu par communauté internationale, sera, assurément, le tombeau de Boko Haram.