Le Nigeria tient sa revanche sur son destin. Dans un scrutin de toutes les peurs, la menace de Boko Haram promettant l'enfer n'est pas passée, malgré quelques tentatives enregistrées dans la localité de Bauchi ou dans les Etats de Borno et de Yobe, mais demeurées sans impact réel sur le déroulement des opérations électorales. De façon significative, le vote s'est déroulé dans le calme. Pris dans l'étau de l'offensive déclenchée par le Tchad, le Niger et le Cameroun et le durcissement du combat mené par l'armée nigériane, le groupe terroriste a subi un sérieux revers politique et militaire dans une bataille victorieuse massivement remportée par le peuple des 68,8 millions de votants, toutes confessions confondues. Le vote contre la peur et des attentes démocratiques s'exprime dans la participation de tous les records. Le message bannissant le règne de la terreur a profité également des conditions idoines de sécurité et de régularité du scrutin. Un pacte de non-violence, entériné la veille du vote par les deux favoris, en présence de l'archevêque d'Abuja et du dignitaire musulman, le sultan de Sokoto, a été respecté à la lettre. La compétition saine et loyale, confortée par le recours pour la première fois à la carte biométrique pour limiter la fraude, tend ainsi à crédibiliser un scrutin suspendu au verdict. Dans un communiqué, l'Union africaine (UA) juge la présidentielle conforme aux « principes continentaux et régionaux des élections démocratiques ». La mission africaine, qui a observé 319 bureaux de vote (sur 150.000), assure que « le processus électoral a été globalement pacifique, durant les processus d'accréditation (vérification biométrique de l'identité des électeurs), mais aussi de vote et de décompte ». Le satisfecit est également exprimé par le groupe nigérian Transition Monitoring Group (TMG), créé à la fin des années 90, ainsi que par l'Institut démocratique national (NDI), basé à Washington. Il n'y a donc rien à craindre de la régularité du processus accusé d'« interférences politiques délibérées » dans le décompte des voix par le secrétaire d'Etat américain John Kerry et le secrétaire au Foreign Office britannique, Philip Hammond. Le grief a été récusé par le porte-parole de la Commission électorale indépendante (Inec), Kayode Idowu, déclarant « sans fondement » les craintes américano-britanniques. « Il n'y aucune preuve d'interférence politique », a-t-il renchéri, au moment où le comptage final des voix débutait à Abuja. Tout l'édifice électoral porte sur le respect des urnes. L'enjeu de la proclamation des résultats s'avère autant décisif pour conjurer les vieux démons des violences post-électorales qui ont fait, en 2011, plus de 800 morts et amorcer le retour consensuel à la démocratie. Outre le président, choisi parmi les 14 candidats en lice, les électeurs ont élu les 109 sénateurs et les 306 députés, en attendant la consultation du 11 avril qui permettra de désigner les gouverneurs et les assemblées locales des Etats. Mais il est unanimement admis que le choc des titans, opposant le président sortant, Goodluck Jonathan, en candidat PDP (People's Democratic Party), et son rival le major-général Muhammadu Buhari représentant l'APC (All progressives Congress) né de l'alliance de quatre formations d'opposition, est la clé de la stabilité nigériane qui ne doit souffrir aucune contestation. Les premiers incidents relevés à Port Harcourt, la capitale de l'Etat-clé pétrolifère de Rivers (sud), où 2.000 militantes de l'APC ont été dispersées à coups de gaz lacrymogène, n'a pas laissé insensible le président de l'Inec, Attahiru Jega, promettant d'examiner toutes les plaintes pour mener à son terme un scrutin « libre, juste et crédible, dans le calme ». Face au syndrome des carnages électoraux, l'UA a appelé à recourir « aux moyens légaux » dans le cas de la contestation des résultats. Qui de Goodluck Jonathan et de Muhammadu Buhari dirigera le Nigeria les cinq prochaines années ?