Toujours vêtu d'une djellaba et portant une âmama (turban) jaune, typique de l'Ouest autour du cou, Mahi Seddik a pour habitude de raconter sur les places publiques la légende du « Mola mola », l'oiseau de bon augure du Grand-Sud, un conte dont il a laborieusement rassemblé les fragments. Pour retrouver les traces de cette légende, Mahi Seddik a dû interroger pendant près de quatre ans les Touareg de Tamanrasset et de la localité d'Abalessa pour reconstituer un conte cohérent, qu'il peine aujourd'hui à publier en Algérie. « Depuis quelques années, je me suis entièrement consacré à la valorisation de contes populaires lors des différentes manifestations culturelles en Algérie et à l'étranger, tout en continuant à écouter le public et les enfants pour collecter les contes de différentes régions », raconte ce passionné de légendes populaires qui a abandonné son métier pour s'adonner complètement à sa passion. Le conte est aujourd'hui tombé dans une « folklorisation dangereuse », s'inquiète Mahi Seddik. Sa transmission orale, tout comme l'interprétation du conteur, sont menacées de disparition en Algérie, alors même qu'ils sont mis en valeur à l'étranger, dit-il amer. L'édition de contes du terroir dans un langage populaire, pourtant reconnu comme langue intermédiaire dans le cinéma et le théâtre, n'intéresse pas les éditeurs, car « non rentable financièrement », croit-il savoir. Bien que le conteur ait animé plusieurs spectacles, émissions et ateliers en France, au Liban, en Tunisie ou encore au Congo sans jamais changer de support linguistique, l'arabe dialectal semble constituer un « handicap » qui l'empêche d'avoir accès à l'édition et à la médiatisation en Algérie. Au-delà du conte en tant que patrimoine oral immatériel, le conteur remplit également — tout comme le « Goual » (conteur traditionnel officiant sur les places publiques) — une fonction sociale de thérapeute que des conteurs de l'Oranie assuraient dans les années 1990 avec les victimes du terrorisme, ou encore avec celles du séisme de Boumerdès de 2003. Dans les années de terrorisme, la « Halqa » (théâtre populaire traditionnel) était le seul « espace d'expression » que les conteurs et hommes de théâtre de Sidi Bel Abbès pouvaient encore exploiter « pour ne pas disparaître », témoignent quelques artistes de la région. Natif de Sidi Bel Abbès, Mahi Seddik a rejoint très jeune des troupes de théâtre amateur de sa ville et s'est découvert peu à peu une vocation de conteur inspiré de la tradition du Goual et du théâtre de la Halqa. Avant de se consacrer à leur collecte, Mahi Seddik avait entamé la traduction vers l'arabe dialectal de contes publiés dans les années 1980 par Mouloud Mammeri dans ses ouvrages « Machahou » et « Tellem chaho ». La tradition du Goual a également beaucoup inspiré le conteur qui a baigné dans son enfance dans cet univers aujourd'hui perdu et qu'il s'acharne à faire revivre et perpétuer. Source d'inspiration pour le théâtre et le cinéma Une opération de collecte est organisée chaque année afin de transcrire les légendes de grand-mère, transmises oralement, et les transcrire, voire les mettre en scène pour le théâtre, et ce, pendant le Festival des arts de l'Ahaggar. C'est grâce à ce concours que la pièce « Tiski, princesse du désert », relatant l'histoire d'une vieille tribu de l'Ahaggar venue vivre à Abalessa sous le règne de Tin Hinan, a vu le jour en 2013 appelant d'autres initiatives du même genre. Le metteur en scène amateur Ali Abdoun atteste que les contes populaires peuvent aujourd'hui « nourrir le capital dramaturgique algérien », tant pour le texte que pour les décors, costumes et mise en scène. Ce genre de contes, populaires dans la région de l'Ahaggar, avaient également permis à la romancière Amel El Mahdi de restituer la légende de Tin Hinan sous forme de conte romancé. Dans les pays voisins, le film burkinabè « Soleils » du réalisateur Dani Kouyaté avait porté à l'écran l'héritage des griots de l'empire Songhaï, alors qu'en Tunisie le conteur et cinéaste Nacer Khemiri a adapté le conte au cinéma en produisant quatre longs métrages entre 1975 et 2005. En Algérie, ces acteurs culturels se battent encore aujourd'hui pour la réhabilitation de ce patrimoine oral du terroir et son exploitation dans sa forme authentique dans différentes disciplines artistiques.