Le 19 mai de l'année 1956, les étudiants et lycéens algériens ont décidé d'apporter leur contribution à l'essor de la révolution, deux ans après le déclenchement de la lutte armée. Celle-ci aura marqué une rupture radicale avec les méthodes de la lutte politique et pacifique des élites dont Ferhat Abbas aura été l'éminence grise. C'est que l'ordre colonial aura été indifférent aux revendications égalitaires formulées dans un registre politique classique. Il fallait se rendre à l'évidence : les systèmes de domination ont pour matrice la force de la violence. A la violence arbitraire d'un système injuste devait donc répondre la violence légitime du peuple opprimé. L'action des étudiants en ce 19 mai 1956 consistant à déserter les campus dans le cadre d'une grève générale illimitée, en écho à l'appel lancé par l'Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA), n'est pas, par conséquent, contre-nature. Elle ne fait qu'épouser le cours de l'histoire, joignant la symbolique de l'initiative à celle du groupe restreint qui a décidé du déclenchement de la Guerre de libération nationale le 1er novembre 1954. Des Algériens qui ont forgé leur conscience nationaliste dans les valeurs des droits de l'homme apprises à l'école. Les grands mouvements révolutionnaires sont, à la base, une affaire du segment de la population lettrée, les élites. Avant qu'ils ne s'irradient, de par la justesse du combat, parmi les masses populaires, la paysannerie et les déshérités. Il était dans l'ordre naturel des choses que les étudiants algériens fassent corps avec l'insurrection pour la libération du pays du joug colonial. En plus d'exprimer leur adhésion au mot d'ordre du mouvement de libération, ils donnent à la cause une dimension nationale qui a conquis toutes les franges de la population. Refusant de se complaire dans le faux confort relatif du cursus scolaire. Et ils le disent dans leur déclaration. « Avec un diplôme en plus, nous ne ferons pas de meilleurs cadavres ! A quoi donc serviraient-ils ces diplômes, qu'on continue à nous offrir, pendant que notre peuple lutte héroïquement, pendant que nos mères, nos épouses, nos sœurs sont violées, pendant que nos enfants, nos vieillards tombent sous la mitraillette, les bombes, le napalm (...). Etudiants et intellectuels algériens, pour le monde qui nous observe, pour la nation qui nous appelle, pour le destin historique de notre pays, serions-nous des renégats ? ». Tel était le passage poignant de la déclaration de l'UGeMA, passée à la postérité. La vague de répression qui a ciblé l'UGEMA, par la suite, a démontré que le ralliement estudiantin a été un coup dur pour les autorités coloniales lesquelles s'échinaient à réduire le mouvement insurrectionnel à une simple affaire d'atteinte à l'ordre public. Outre le mérite de la mobilisation de l'intelligentsia, le FLN avait besoin d'encadrer ses troupes par des éléments instruits. Et le cas échéant suppléer à d'autres besoins pratiques, comme la logistique et les soins. L'organisation estudiantine ne perdait pas de vue, dans une vision prospectiviste, l'après-indépendance. Les étudiants, après avoir livré le message, ne devaient pas perdre leur qualité. Et donc poursuivre leurs études pour former les cadres des lendemains d'indépendance. « Confiant dans l'issue finale du combat libérateur et conscient des lourdes charges qu'il aura à assumer pour édifier un Etat nouveau, l'étudiant doit se préparer à faire face à ses nouvelles responsabilités. Investi de cette nouvelle mission (...), il apporte la preuve de sa foi en l'avenir en préparant (...) en pleine guerre, les lendemains de la victoire, en donnant à l'Algérie indépendante les cadres solides, éprouvés et dignes de l'esprit révolutionnaire de son peuple ». L'organisation des étudiants, par cette déclaration faite le 14 octobre 1957, établissait la passerelle entre le défi du moment et celui d'après. Entre le passé et le présent. Le message est atemporel.