Pour «inverser» la situation, Alassane Ouattara opte, un mois et demi après la présidentielle, pour une sortie de crise «négociée». Il tend la main à Laurent Gbagbo si celui-ci renonce à la présidence de la République.et le reconnaît comme président légitime. Ouattara qui est cantonné dans l'Hôtel du Golf à Abidjan et sous la protection de 800 Casques bleus des Nations unies, est prêt à travailler avec son ex-ennemi. « M. Gbagbo n'est pas seul. Il a des partisans, il a des gens compétents dans son parti. Nous sommes prêts à travailler avec eux, dans le cadre d'un large gouvernement d'union », déclare Youssoufou Bamba, l'ambassadeur d'Ouattara à l'ONU. Même les violences commises par les partisans de Gbagbo ne semblent pas gêner outre mesure ce revirement à 180% opéré au nom d'une realpolitik. «Il y a eu violation massive des droits de l'homme, c'est la vérité. Mais vous savez, en politique la vie continue (...) car vous êtes condamnés à vivre ensemble», explique le diplomate. «C'est de la diversion», réplique Pascal Affi N'Guessan, le président du Front populaire ivoirien, le parti de M. Gbagbo. «Ce qui est non négociable, c'est la victoire de Laurent Gbagbo, à l'issue de la présidentielle contestée du 28 novembre», dit-il. En attendant une issue à ce dialogue de sourds qui peut plonger à tout moment la Côte d'Ivoire dans une guerre civile, voire dans une guerre de sécession Nord-Sud, les médiateurs africains se relaient à Abidjan. En vain. Après les deux missions de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest, la discrète «mission exploratoire» de l'ex-président nigérian Olusegun Obasanjo pour le compte de Goodluck Jonathan, le président en exercice de la Cédéao, on annonce, pour demain, l'arrivée à Abidjan du médiateur de l'Union africaine, Raila Odinga. Lors de cette visite, sa deuxième depuis début janvier, le Premier ministre kenyan qui s'entretiendra aujourd'hui avec le président de la commission de l'UA Jean Ping, à Nairobi, pourrait réitérer à M. Gbagbo «le caractère inéluctable de l'alternance» au sommet de l'Etat ivoirien et lui donner quelques assurances. Comme l'engagement d'Alassane Ouattara à ne pas chasser le président sortant par la force. Une option à laquelle certains membres de la CEDEAO comme le Ghana, la Gambie et le Burkina sont opposés. Y compris à l'utilisation de leur territoire pour cette intervention militaire par certains pays. Cette main tendue, même si elle est pour l'heure rejetée, le Premier ministre Guillaume Soro la fait accompagner par une tentative de diviser le camp d'en face. Il a dressé, hier, une liste de seize responsables économiques et financiers ivoiriens qu'il veut voir sanctionnés par la communauté internationale pour leur soutien à Gbagbo. Il préconise un gel des comptes bancaires et une interdiction de se rendre aux Etats-Unis ou dans l'Union européenne. Ces sanctions ajoutées à celles prises par la Cedeao, l'Union européenne et les Etats-Unis seraient-elles suffisantes pour dissuader les Ivoiriens de rester chez eux ? Des milliers d'entre eux fuient leur pays par craintes des violences postélectorales. Deux civils ont été retrouvés tués par balles hier matin après que des tirs ont été entendus à Abidjan, dans le quartier d'Abobo, fief d'Alassane Ouattara. Selon le Haut commissariat de l'ONU pour les réfugiés, les Ivoiriens sont déjà plus de 25.000 au Liberia avec environ 600 en majorité des femmes et des enfants, arrivées par jour.