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Djellil : « une médaille, tout un symbole
Un sportif ,Une histoire - Il avait offert à l'Algérie indépendante sa première médaille d'or
Publié dans Horizons le 01 - 01 - 2016


Les jeunes générations ne vous connaissent pas...
Certainement. Je ne suis pas au-devant de la scène sportive à la quelle je suis arrivé par pur hasard. Natif de Makouka en Kabylie, je suis arrivé à Douéra au début de la guerre de Libération nationale. Mon père, qui fuyait l'armée coloniale, est venu se réfugier dans cette localité. Enfant, j'avais comme seule distraction un vélo, dit à l'époque demi-ballon par rapport à ses pneus. Après l'école, je passais mon temps à jouer au vélo et faire des kilomètres. Je me rappelle que cela m'amusait de parcourir les routes et chemins entre Baba Ali, Kheraïssia et autre Birtouta et Saoula.
Racontez-nous votre arrivée au cyclisme ?
Dans la ville de Douéra, il y avait beaucoup de jeunes qui faisaient du cyclisme sur des vélos de course. A l'époque, c'était à la mode, et presque tous les jeunes possédaient un deux-roues. Un dimanche matin, alors que j'étais sur mon vélo, je rencontre des copains qui préparaient une course sur plus de 20 km à l'issue de laquelle le dernier paierait à boire de la limonade. En dépit de l'état de ma bicyclette, j'ai demandé si je pouvais participer. Mes copains, qui voyaient en moi une « victime », acceptèrent. Sur leurs « machines » de course, mes copains dont un certain Sadouki étaient surpris de me voir parmi eux en tête pour terminer à la seconde place. Cette performance devant des cyclistes qui s'entraînaient régulièrement m'a encouragé à me lancer dans le bain en allant signer ma première licence au Vélo Club de Bir Mourad Raïs.
Qui vous a encouragé à choisir cette discipline à risques ?
Dans la lancée, j'ai oublié de parler de mon grand ami Ahmed Haroun, le dessinateur de presse qui avait réalisé pour le journal El Moudjahid dans les années 1960 une bande dessinée « El Afrit Sportif ». Cet homme, connaisseur, voyait en moi un futur champion et ne cessait de m'encourager pour courir plus et faire beaucoup kilomètres par jour. Il faut aussi dire que c'est mes copains qui m'avaient aidé financièrement pour acheter un vélo de course et m'engager avec mon club avec qui j'ai occupé la 11e place toutes catégories lors de ma première course. A l'époque, je courais sans entraînement spécifique et sans coach. C'est-à-dire que je courais comme pour m'amuser et je comptais sur ma formidable force pour m'imposer parmi les ténors.
Pourtant, vous avez failli tout abandonner après une chute...
Effectivement, lors de ma seconde course avec mon équipe, j'ai lourdement chuté et je me suis retrouvé avec une fracture et une bicyclette cassée et irrécupérable. J'avais alors décidé d'arrêter de courir et de me consacrer à mes études. Mais six mois après était organisé le championnat d'Algérie juniors qualificatif pour le championnat de France... et je voulais tenter ma chance dans cette course dénommée « Pas Dunlop », à l'issue de laquelle les deux premiers étaient qualifiés. Une nouvelle fois aidé par mes amis pour « rafistoler » ma bécane pour pouvoir être au départ donné à Hussein-Dey où je suis arrivé à vélo après près de 22 km. Sur cette course de 150 km, je n'avais pas de chance. Car même si j'avais la forme pour être dans le peloton de tête et même en tête aux côtés de Zaaf, j'ai chuté dans les derniers mille mètres avant l'arrivée alors que j'étais en tête, loin devant mes poursuivants. Je me suis difficilement relevé. J'ai arrangé ma chaîne et je suis rentré en troisième position qui était une grande déception pour moi.
A cette époque, vous étiez l'un plus grands cyclistes...
Durant cette époque, la sélection nationale renfermait de grands noms de la petite reine, comme Zaaf, Hamza, El Bazagui et autres Mahieddine. Mais on courait dans les compétitions internationales contre les meilleurs du monde du cyclisme. Durant cette époque, j'avais gagné plusieurs courses dont le grand prix de l'Indépendance en 1963, en tant qu'espoir. L'épreuve disputée entre Alger et Tizi Ouzou et retour sur Alger m'avait permis de gagner la coquette somme de 3.750 francs. Cette victoire retentissante rapportée en grandes manchettes par la presse de l'époque qui s'intéressait à ce sport populaire, m'avait ouvert les portes de la sélection nationale. En 1964, j'avais pris part au grand tour cycliste en tant que plus jeune coureur du peloton aux côtés, il faut l'avouer, des grands du monde dont le Marocain Mohamed El Gourch, les Belges Walter Godefroot et Lucien Aimar qui avaient à leurs palmarès les tours de leurs pays. Quelque peu gêné par l'ambiance et devant tant de vedettes, j'avais comme un trac qui m'avait empêché de bien rouler et je me suis qualifié difficilement aux étapes suivantes pour terminer à la 40e place.
Avant Brazzaville, vous aviez participé à la prestigieuse course de la paix...
Cette compétition était grandiose par les noms des coureurs qui participaient et les pays traversés. Entre Berlin, Prague et Varsovie, on devait parcourir des étapes de plus de 240 km. C'était fabuleux de prendre part à cette compétition de haut niveau, lors de laquelle j'ai chuté pour me retrouver à l'hôpital avec la clavicule cassée. C'était lors de la 11e étape dans les montagnes tchèques. C'était pour moi un coup très dur car je voyais ma participation aux Jeux africains remise en cause.
Comment avez-vous pu revenir en compétition ?
Avant tout, il faut tenir compte de la conjoncture de l'époque où seule la volonté comptait. Certes j'avais peur de ne pas être au rendez-vous et que l'entraîneur national M. Mohamed Lourguiouine ne fasse pas appel à moi. Mais je gardais l'espoir et pour maintenir la forme physique, je prenais le risque de monter à vélo et de m'entraîner en tenant les guidons avec une seule main, l'autre étant immobilisée pour raison de fracture de la clavicule gauche. Je n'avais pas le choix car je devais être au point à l'approche des Jeux africains devant avoir lieu du 18 au 25 juillet au Congo-Brazzaville. Agé alors de 21 ans, je n'avais pas mis longtemps pour retrouver toutes mes facultés physiques, et le sélectionneur national pour les J.A n'a pas hésité à me retenir aux côtés des ténors qu'étaient Zaaf, Merabet, Ouachek, Hamza et Boufridi. Très galvanisé par cette sélection inespérée, je me suis entraîné comme un fou pour retrouver la forme physique et notamment mentale après la fracture. Mes coéquipiers, qui connaissaient ma valeur, m'avaient beaucoup aidé. Car en terre congolaise, il était question de couleurs nationales.
Racontez-nous votre arrivée à Brazza ?
Une fois à Brazzaville, je me suis un peu réservé. Je parlais peu et je voulais me concentrer au maximum sur mon sujet, en ayant une seule idée en tête, celle de gagner la course sur route que je devais faire avec Zaaf, Merabet, Ouachek. Le jour de la course, je me sentais en forme et je pensais réaliser mon plan tactique, mais c'était sans compter sur les aléas de la force physique qui m'a trahi au début de l'épreuve. Le départ a été donné à 7h, sur le pont du Djoué sur une rivière qui se jette dans le Congo, par M. Rodolphe Ntone de la Fédération du Congo-Brazza par son chapeau et non pas un pistolet qu'il avait oublié.
Comment s'est déroulée la course ?
Après les 20 premiers kilomètres de la course, mes jambes ne répondaient plus et je ne pouvais rien faire que de rester au milieu du peloton pour ne pas être distancé car la bagarre était déjà engagée par mes coéquipiers Zaaf et Ouachek contre les 63 autres coureurs des 14 pays engagés. A chaque attaque des nôtres, je souffrais le martyre en silence, je ne voulais pas les inquiéter ni les gêner dans leur manœuvre et je tentais de ne pas être lâché et de rester au milieu du groupe. Le plus important pour moi, c'était de rester parmi les premiers même si la bagarre faisait rage entre Zaaf, Ouachek d'un côté, et des cyclistes du Madagascar et du Sénégal. J'assistais à cette lutte impuissant, et à chaque accélération je sentais mes jambes me trahir.
Avez-vous perdu espoir de gagner à ce moment ?
Je regrettais surtout ma forme de la veille et comme j'étais un excellent grimpeur, j'attendais en tenant bon sur ma selle de mon vélo, le trajet retour de la course avec un fort espoir de retrouver mes facultés.
Après les premiers 70 km, soit la moitié de la course, je commençais effectivement à reprendre force sans pour autant m'approcher du peloton de tête, alors que mes deux coéquipiers continuaient les attaques. Au 65e kilomètre, je ne sais pas ce qui s'est passé en moi puisque d'un seul coup j'ai retrouvé comme par enchantement toutes mes facultés physiques.
Comment cela s'est passé ?
C'est comme un miracle, puisque après une descente suivie d'une côte de 4 à 5 km, j'ai effectué une attaque fulgurante pour laisser sur place tous les coureurs, y compris mes coéquipiers qui me voyaient passer comme une flèche. Toutes mes capacités physiques retrouvées, je suis parti courir seul le reste de l'épreuve avant de franchir en solitaire la ligne d'arrivée avec plus de 10 minutes d'avance sur Zaaf, accrédité d'un chrono de 4h 04mn 49 sec.
C'était la première médaille d'or de l'Algérie indépendante...
A l'arrivée, j'étais très content de la victoire et de la médaille d'or dont je n'avais saisi la valeur qu'une fois arrivé au village des athlètes où la délégation algérienne m'avait réservé une haie d'honneur à l'entrée de notre lieu de résidence. C'était grandiose et le journal d'El Moudjahid du 20 juillet 1965 que je garde soigneusement avait réservé sa page sportive pour relater l'exploit avec ma photo et celle de Zaaf ornant les oreillettes de la page. Le journal avait écrit en gros « Aux Algériens les 1res médailles », « Djellil vainqueur détaché de la course sur route, Zaaf termine second » et « 10 mn d'avance pour Djellil ».
Ce n'était certainement pas la seule victoire ?
Cette médaille m'avait permis d'être classé 5e athlète africain de l'année toutes disciplines confondues par l'agence cubaine Prensa Latina. Ma carrière sportive était aussi riche avec un palmarès très satisfaisant, et en tant que capitaine de l'équipe nationale, je me suis sacrifié plusieurs fois pour mes coéquipiers en leur permettant de gagner une étape ou d'améliorer leur classement. J'ai notamment occupé la 33e place des Championnats du monde sur route amateur de San Sébastian en Espagne dans le temps du vainqueur, le Français Jacques Bothrel avec un temps de 4h 12mn 52 sec.
J'ai aussi occupé des places honorables parmi les 5 premiers au Tour d'Allemagne en 1967, de Cuba, en 1969 et bien d'autres.
Vous étiez après entraîneur et directeur technique ?
Après ma carrière d'athlète, j'avais occupé les postes d'entraîneur national, de directeur technique national, de directeur des Tours d'Algérie cycliste et membre du bureau de la Fédération algérienne de cyclisme. J'ai participé aux côtés de mon ami et coéquipier Madjid Hamza, à la carrière des grands cyclistes algériens des années 1980 que sont Sebti Benzine, Mohamed Mir et autres Abdelkader Reguigui.


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