Plus qu'une date, Yennayer, premier jour de l'an amazigh, a une portée symbolique bien particulière dans la wilaya de Tipasa. Sa célébration, qui remonte à des temps reculés, est perpétuée dans les villes et villages de cette région. Abdelkader Bouchlaghem, producteur et animateur d'émissions en tamazight à la radio locale et enseignant retraité de l'Université de Boumerdès, estime que le nouvel an berbère est l'un des symboles phare de notre patrimoine immatériel. Repère calendaire agraire, il est aussi, selon lui, un référent identitaire et historique majeur. « Au temps de la colonisation, il était un symbole de résistance face à l'assimilation et l'acculturation voulues par l'envahisseur. Nos pères et grands-parents tenaient coûte que coûte à le célébrer, et ce, en dépit de la misère qui cadençait leur quotidien », souligne-t-il. Selon lui, les anciens de Tipasa ne célébraient jamais le 1er janvier. Ils attendaient jusqu'au 12 janvier qui coïncide avec Yennayer pour fêter la révolution annuelle. « Ce fut une sorte de démarcation. Préserver son patrimoine et par extension son identité était une forme de lutte sociétale qui, au final, a contribué à raffermir les liens forts liant nos aïeuls à leur terre », explique-t-il. Et de regretter que cette pratique festive, incontournable jadis, perd de sa quintessence, dans la mesure où sa célébration, aujourd'hui, se limite à certains cercles familiaux et à quelques festivités artistiques et culturelles organisées dans des structures de spectacles. Pour autant, la ferveur des citoyens de la wilaya de s'approprier Yennayer et de s'identifier culturellement à lui demeure intacte. « Bien que sa célébration en famille soit plus importante dans nos villages par rapport à nos villes, il n'en demeure pas moins que Yennayer demeure un symbole rassembleur par excellence », tient-il à souligner. Réhabiliter le rituel ancestral de sa célébration est un domaine de recherche qui tient à cœur à Bouchlaghem. « Yennayer est célébré à travers tout le pays selon des variantes propres à chaque région. Certainement un dénominateur commun de ce rituel existe. A partir de cette base, nous pouvons rétablir la tradition festive qui marquait cet événement central dans l'ancien temps », espère-t-il. En attendant, le repas de Yennayer à Tipasa marque le point focal de sa célébration. « Le dîner de Yennayer est préparé généralement avec du couscous ou du berkoukès. Ce mets traditionnel est accompagné de viande de poulet sacrifié le matin. Le repas ne peut être complet sans les boulettes à base de semoule et d'herbes aromatiques arrosées d'une sauce », révèle Mohamed, un citoyen de Menaceur, ville montagneuse de la wilaya. Selon Abdellah, un autre habitant de Menaceur, la soirée débute une fois le repas consommé. « Les enfants se voient offrir un mélange de bonbons, de figues et de fruits secs. Yennayer a cette particularité d'égayer les foyers, le village et la ville », confie-t-il. Ali, professeur d'enseignement secondaire à la retraite, originaire de Larhat, daïra de Damous, se souvient, alors qu'il était encore jeune, d'une scène de Yennayer qui l'a marqué à jamais. Avec une pointe de nostalgie, il raconte comment son frère, encore bébé, a été placé par ses parents dans une sorte de plateau. « On l'a couvert de friandises. C'est une scène extraordinaire pour moi. Ensuite, les bonbons, les figues sèches et les fruits des bois ont été ramassés et partagés entre tous les enfants du voisinage », se remémore-t-il.