Nous sommes en 1841, et Saïda constitue un des nombreux îlots de résistance à l'occupation française qui avançait difficilement. Mais qui avançait quand même puisque la ville tombera entre les mains de l'envahisseur à l'automne 1844 et deviendra un grand centre d'hébergement de la légion étrangère. La ville a dû plier devant une puissance surarmée par rapport aux tribus qui suivirent fidèlement l'émir Abdelkader. Pourtant, il y a en cette contrée des traditions de résistance depuis la domination romaine et qui fut marquée par de nombreux soulèvements de la population, avant que les musulmans ne s'en emparent au huitième siècle et ne la rattachent au royaume de Tihert (Tiaret). La ville connaîtra sous les musulmans une période faste et riche en activités littéraires et scientifiques, marquée par les dynasties des Almoravides et des Zianides jusqu'à la pénétration turque qui en fera un grand centre de rayonnement rattaché au beylik de Mascara. D'un point de vue économique, la région a gardé son cachet pastoral de l'époque berbère et la ville deviendra célèbre dans toute l'Algérie après l'indépendance, en 1967 exactement, quand de ses usines sortira la première bouteille d'eau minérale algérienne. Plus qu'une marque, un label, une identité et aujourd'hui encore on appelle « saïda » toute eau minérale ou de source malgré les nombreuses marques qui existent. Mohamed-Tahar est à la fois professeur de lycée et correspondant local d'un grand quotidien national. Il insiste pour nous inviter au mariage de son cousin. On fait un brin de toilette à l'hôtel et à la tombée de la nuit, Mohamed-Tahar vient nous chercher dans sa vieille Atos superbement entretenue. Nous voilà donc dans la grande salle où l'orchestre en costumes traditionnels joue des airs de haouzi tandis qu'une poignée de jeunes s'affaire à mettre les nombreux couverts. Soudain les youyous couvrent la musique. C'est le marié qui arrive juché sur un cheval, portant fièrement le burnous de laine et visiblement stressé par tous ces regards qui se posent sur lui. Il s'installe entouré de ses amis et on commence alors à servir le repas. Ici la chorba s'appelle tchicha et en plus du frik (blé concassé), on y a joute du safran, de la coriandre, du piment fort, et c'est un délice. Ensuite vient le couscous couvert de légumes et où trônent de gros morceaux de viande d'agneau. En définitive et hormis la gastronomie qui varie d'une région à une autre, l'ambiance festive est la même dans tout le pays et quelle que soit la région, la convivialité est la même, l'accueil aussi chaleureux, surtout quand on apprend que vous venez de loin. Alors vous bénéficiez du statut d'invité de marque, et tout le monde se plie en quatre pour vous faire plaisir. Nous insistons pour rentrer à pied, un peu pour ne pas déranger Mohamed-Tahar, beaucoup pour déambuler dans les rues enguirlandées de mille lumières. La grande avenue est animée malgré l'heure avancée et des cafés encore ouverts accueillent sur leurs larges terrasses de nombreux clients en cette belle soirée de printemps. Nous rentrons à l'hôtel, car demain, nous devons visiter la célèbre station thermale Hammam Rabbi. Ainsi, nous démarrons tôt et arrivés sur place, il faut déjà chercher longtemps pour trouver une place de stationnement. C'est que nous sommes en pleines vacances de printemps et la station affiche complet. Heureusement que nous ne sommes pas venus pour une cure, fut-elle d'une journée, mais juste pour découvrir cet endroit célèbre dans le théâtre d'Alloula et dans d'autres légendes. Le site est un immense trou de verdure et c'est sans doute l'une des rares stations thermales, peut-être même la seule, à avoir un staff médical spécialisé dans les rhumatismes et les maladies articulaires, qui pratique des soins par aspersion et des traitements par rayons avec des résultats positifs sur de nombreux malades. Nous déjeunons de brochettes d'agneau épicées en buvant de l'eau Saïda, évidemment. La journée est belle et le soleil radieux. Mohamed Tahar nous propose de faire un crochet par les villages berbères de Tidernatine et de Tafrent qui abritent des ruines d'une immense richesse paléontologique et archéologique avec les vestiges berbères et romains. Les lieux sont déserts et à des endroits, on distingue nettement des détritus et des tessons de bouteille. Le tourisme archéologique est au point mort.