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« Pour contrôler le cancer, changeons nos comportements » Professeur Messaoud Zitouni concepteur et coordinateur du plan national de lutte contre le cancer, à Horizons
La mouture finale du plan national de lutte contre le cancer a été précédée par l'élaboration de plusieurs rapports sur la situation. Parlez-nous de ces étapes... Pour élaborer et réussir un plan cancer, il faut très bien le préparer en amont et en aval. C'est la démarche conceptuelle logique de construction de plan que nous avons adopté. Après six mois de travail, le premier rapport d'état de situation du cancer a été remis aux autorités en juin 2013. Juste après, un nouvel élan a été donné à la lutte anti-cancer en Algérie à travers une lettre de mission détaillée qui nous a été adressée par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal. Avec cet encouragement et ce soutien, les mêmes groupes de travail se sont investis sur le terrain pour organiser des entrevues, des séminaires, des ateliers, des visites et des rencontres avec des responsables politiques dont une dizaine de ministres, pour faire plusieurs rapports traitant différents aspects. C'est ainsi que nous avons fait un deuxième rapport en octobre 2013 qui contenait les recommandations essentielles pour la construction du plan. C'est à ce moment-là que le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a ordonné l'élaboration du plan anti-cancer. On s'est vite remis au travail et au bout de neuf mois, nous avons élaboré le plan cancer 2015-2019, qu'on pourrait appeler, à juste titre, « le plan cancer Abdelaziz Bouteflika », comme cela se fait dans tous les pays qui ont fait un plan cancer sérieux. Ce plan, de l'avis unanime des professionnels de la santé, est une première en Algérie. Pour eux, il s'agit d'un élément très encourageant qui leur offre, pour la première fois, une feuille de route claire contenant huit axes stratégiques bien définis et qui se déclinent en 239 mesures. Sur le terrain, les professionnels de la santé, notamment les plus jeunes, ont fait preuve d'une mobilisation sans précédent pour épouser d'une manière très étroite et même s'identifier à ce qu'on leur propose dans ce plan. C'est ainsi que nous sommes arrivés à un objectif que nous n'avons jamais atteint, à savoir la concrétisation d'une volonté politique au plus haut niveau de l'Etat et qui est pérenne et une forte mobilisation sur le terrain des professionnels de la santé avec l'aide des autorités exécutives, à leur tête le ministère de la Santé. Je tiens à rappeler aussi que l'Algérie a été un peu pionnière en matière de lutte contre le cancer étant donné que le chef de l'Etat a déclaré, dès les années 2000, cette maladie comme étant un problème majeur de santé publique. Juste après, il a déclenché un certain nombre de programmes et de plans, construit des centres anti- cancer. Et c'est comme cela que nous en avons fait un chantier présidentiel d'où l'élaboration d'un plan cancer. Finalement, quelle est la situation du cancer en Algérie ? Au point de vue épidémiologique, le cancer est une maladie particulière par sa gravité. Tout le monde craint le cancer, une maladie redoutable à cause de son mauvais pronostic (complication et taux de mortalité), c'est une maladie qui déstabilise complètement la personnalité du patient, sa famille et même la société en général. Elle peut provoquer aussi une déstabilisation économique en raison des coûts exorbitants des traitements pratiqués. Au point de vue chiffres, deux éléments de base sont retenus pour les définir : la démographie à travers le vieillissement de la population et les facteurs de risques créés par l'être humain. Nous trouvons dans ce dernier élément le mode de vie moderne et à leur tête le tabac, qui est l'ennemi n°1 du cancer et de la santé. Le tabac est à l'origine de 30% des cancers et 90% des cancers du poumon. Le deuxième type de facteur important concerne l'alimentation. Les Algériens sont en train de quitter leur mode d'alimentation traditionnel, qui était assez sain, pour passer à un nouveau type d'alimentation moderne basé sur les graisses, le sel, le sucre et l'absence d'exercice physique. Actuellement, les épidémiologistes viennent de découvrir, depuis deux ans, que le cancer du côlon et du rectum dû essentiellement à une mauvaise alimentation est en train de devenir premier cancer chez l'homme et le deuxième chez la femme après le cancer du sein. Ces facteurs de risque montrent que le combat contre le cancer doit être mené au niveau de la prévention. Aucun pays au monde n'a réussi à infléchir l'incidence du cancer sans l'application d'une bonne politique de prévention contre ces éléments. En Algérie, nous disposons d'un instrument de décompte presque unique en Afrique. Il s'appuie sur des registres de cancer qui sont très performants et qui, depuis 1990, sont régulièrement mis à jour pour dénombrer les personnes atteintes. Le nombre a doublé en une vingtaine d'années. Ce qui est énorme. Actuellement, 45.000 nouveaux cas de cancer sont enregistrés annuellement en Algérie avec une petite supériorité des femmes. Le cancer du sein est le plus répandu chez les femmes qui, augmente, ces derniers temps, de manière inquiétante. Le deuxième cancer, à savoir le col de l'utérus, est en train de diminuer, alors que le colorectal est en augmentation. Pour le cancer du sein, seuls le dépistage et le diagnostic précoce peuvent contribuer à arrêter sa progression. Donc, les efforts que nous fournissons actuellement visent à développement le dépistage et le diagnostic précoce. Quels sont les contraintes qui risquent de freiner la mise en exécution de ce plan ? Sur le terrain, la situation factuelle est en train de s'améliorer. Mais pour que nous puissions apporter d'autres améliorations, il faut que nous changions nos habitudes de travail dans l'organisation des soins pour le cancer en particulier et pour les autres maladies en général. Car dans le plan cancer, nous étions ambitieux en exigeant de mettre le malade au centre des préoccupations. Ainsi, nous avons relevé un certain nombre de dysfonctionnements qu'il faut lever à travers la réduction de la bureaucratie, avoir plus de confiance dans les compétences humaines et une plus grande rigueur dans le choix des équipements acquis. Malheureusement, jusqu'à présent, l'aspect de la ressource humaine n'a pas été pris en compte, de manière assez sérieuse. Dans le plan cancer, nous insistons énormément sur la formation. Il faut être intransigeant pour que les qualifications des métiers de la radiothérapie (radiothérapeutes, physiciens médicaux et les dosimétriques et les infirmiers manipulateurs) soient formées au plus haut niveau. Si on lie la volonté affichée, les moyens matériels et la mobilisation des professionnels, les choses vont vraiment s'améliorer et de manière très rapide. Depuis sa publication en décembre 2014, quelles ont été les étapes franchies à ce jour ? La mise en œuvre du plan cancer sur le terrain doit être bien préparée. Avec l'équipe, nous avons adopté une démarche logique visant à réunir les moyens, décider des actions et faire une évaluation continue pour remédier aux lacunes. Nous avons commencé par la mise en place d'un cadre réglementaire, qui était jusque-là, inexistant avec une charte d'éthique qui répond à notre démarche. Nous avons installé un comité de pilotage et de suivi composé de deux grandes commissions, à savoir une pour la mise en œuvre et une autre pour l'évaluation. La deuxième étape consiste à mettre en place les feuilles de route sur tous les axes du plan dont la prévention, le dépistage, les soins de suivi, le financement, la formation et la communication. Des groupes de travail ont été installés avec une priorité accordée à la prévention et au dépistage. Pour la prévention, nous avons fait un plan national stratégique intégré de lutte contre les facteurs de risques. Il y a maintenant un comité de mise en œuvre de cette action dont les membres sont en train de travailler parallèlement à la mise en exécution du plan. Concrètement, quelles sont les actions menées sur le terrain ? Outre la prévention, l'accent sera centré sur le dépistage. Nous avons déjà mis en place les trois commissions les plus importantes pour commencer le dépistage organisé. J'insiste sur ce thème car jusque-là il y avait des campagnes de dépistage notamment du cancer du sein, menées par des gens compétents, mais qui étaient trop éparpillés. Ce qui fait qu'elles n'avaient pas eu des résultats scientifiques. Maintenant, il va s'agir d'organiser des campagnes de cancer du sein en commençant par ce qu'on appelle des zones pilotes avec l'aide de la Cnas qui a des grands centres de diagnostic bien équipés dans plusieurs wilayas. Il va y avoir la même chose pour le dépistage du col de l'utérus, deuxième cancer génital féminin. Là, nous sommes en avance car nous avons déjà un programme de prévention et de dépistage depuis 10 ans qui a été freiné en raison de certaines difficultés. Mais grâce au plan cancer, il connaît un nouveau élan. Pour le cancer du côlon et du rectum, qu'on peut aussi dépister tôt, ce sera le troisième point focal du dépistage. Nous sommes en train de mettre en place aussi d'autres groupes de travail pour les autres points dont nous donnerons les détails dès qu'ils seront opérationnels. Il sera question notamment de l'onco-psychologie car les malades atteints de ces cancers ainsi que leurs familles sont déstabilisés au plan psychologique. A travers le monde, les soins de soutien sont très développés pour accompagner ces malades à travers des séances de psychologie-oncologique. Nous avons installé aussi le groupe de financement qui travaille non seulement sur le renforcement des ressources financières étant donné que l'Etat n'a pas retiré un centime de ce que nous avons demandé, c'est-à-dire 180 milliards de centimes. Et parce qu'il s'agit de la santé de l'être humain, il faut penser à rationaliser les dépenses et à gaspiller moins. L'utilisation logique de ces fonds va permettre à tout le monde d'avoir accès aux soins et de manière équitable à tous les Algériens. Car, nous avons constaté, qu'en dépit du fait que l'Etat consacre des montants importants pour la santé en général et maintenant pour le cancer, les résultats sont en deçà des attentes. Cela est dû aux dysfonctionnements de la gestion, de l'organisation et autres. Quel est l'état de la réalisation des centres anti-cancer ? Tous les centres anti-cancer ont connu des retards en raison de la méconnaissance des états des lieux et du manque d'études précises. Néanmoins, il faut reconnaître qu'il y a, ces dernières années, une accélération en matière de réalisation de ces structures programmées depuis longtemps. Il y avait seulement cinq ou six, aujourd'hui, leur nombre a doublé surtout avec l'apport du privé qui réalise des centres bien équipés avec un personnel qualifié. Actuellement, il y a trois centres et bientôt, il y en aura deux autres à Alger et ça va se multiplier à l'avenir. Mais les 21 centres anti-cancer, tel que proposé dans le plan, doivent avoir des objectifs précis. Il faut passer donc à une autre phase, avec plus de rapidité et d'efficacité, à savoir l'installation de services de radiothérapie dans les hôpitaux et là où existent déjà tous les autres services (diagnostic et traitement). Ça coûte moins cher, ça garantit une meilleure gestion et ça va rendre service aux malades. Comment peut-on régler les gros problèmes de radiothérapie posés actuellement ? Le meilleur traitement du cancer est la chirurgie qu'on n'évoque jamais car tous les cancéreux sont opérés dans tous les services de chirurgie de l'Algérie, dans les CHU, les petits hôpitaux, dans les structures des villages et dans le privé. Il y a donc un réseau de service de chirurgie tel qu'il n'y a pas de problème posé. La chimiothérapie est un traitement à travers la voie veineuse ou par comprimé. Il suffit d'ouvrir un service de chimiothérapie et de mettre des oncologues pour voir la charge diminuer. C'est comme cela que nous avons une vingtaine de grands services de chimiothérapie et plus de 150 unités d'oncologie médicales où sont traités les malades. La radiothérapie n'est pas la même chose dans la mesure où il faut importer des appareils d'une très haute technologie relevant de l'énergie nucléaire. Cela nécessite une installation et un personnel spécial et surtout une maintenance particulière. Le problème crucial est celui de ne pas trouver des spécialistes de réparation des appareils qui tombent en panne ou une pièce de rechange. La situation va s'améliorer dans la mesure où nous allons exiger aux constructeurs de ces machines de répondre à deux exigences, à savoir la maintenance continue en respectant les délais et une formation de notre personnel. La deuxième clé est la réorganisation des circuits de soins de radiothérapie en essayant de faire un audit pour définir exactement ce qui se passe sur le terrain. C'est prévu dans le plan cancer. Le groupe de radiothérapie va organiser une conférence nationale de la radiothérapie et de la médecine nucléaire pour mettre les choses au point et améliorer les circuits des malades pour réduire les délais de rendez-vous, qui n'est pas due seulement à la qualité et au nombre des machines mais aussi à la rationalisation du circuit du malade ou ce qu'on appelle le parcours de soin des malades. Le processus thérapeutique n'a pas évolué chez nous. Or, la médecine avance. Sommes-nous à la page ? Théoriquement, nous sommes à la page. Du point de vue de la connaissance, nous sommes bien armés du moment que nos scientifiques se tiennent au courant et vont dans les congrès avec la participation des sommités en cancérologie. Le problème central, c'est d'arriver à une meilleure adaptation et flexibilité en réduisant, bien sûr, la bureaucratie. Ce n'est pas un problème d'acquisition des sciences mais plutôt de pouvoir s'adapter rapidement. Or, chez nous, nous avons une formation trop académique, trop réglementée, aussi bien dans les domaines médical, paramédical, administratif que dans la gestion des institutions hospitalières. Le tout doit être fluidifié. Au niveau de l'enseignement, nos étudiants, nos résidents, nos assistants doivent devenir plus flexibles pour s'adapter à la science. De point de vue de la gestion, il faut mettre en place une gestion moins bureaucratique. Le ministre de la Santé le souligne souvent en insistant sur la nécessité de se débarrasser des anciennes méthodes de travail. C'est très important pour se mettre à la page, et pour ne pas attendre 2 ou 5 ans pour réaliser une adaptation scientifique découverte récemment. Il faut une rationalisation de l'utilisation des moyens et cesser de copier ce qui se passe ailleurs. L'expérience de l'élaboration du plan cancer a montré que les équipes algériennes peuvent faire des outils d'une haute technicité scientifique sans nous soumettre sous la tutelle des organismes étrangers. C'est un produit 100% algérien. C'est une fierté et la mise en œuvre de cet édifice d'espoir et de fierté de l'Algérie va être facile. Le financement est l'autre point noir du traitement du cancer. Que proposez-vous ? Une réflexion a été, bien évidemment, menée car le financement est, effectivement, un gros problème. Le coût des soins de ces maladies est lourd. Les traitements comme les appareils coûtent de plus en plus cher. Il faut donc s'adapter. Il y a une réflexion pour que le cancer soit pris en charge par la sécurité sociale. Aussi bien pendant la confection du plan qu'en ce moment dans les groupes de travail, il y a des discussions entre les différents ministères (Finances, Santé, Sécurité sociale) pour voir comment arriver, progressivement, à une prise en charge plus égalitaire de ces cancers. Je pense qu'avec le temps, cela arrivera. D'autant que le conseil des ministre de 2014 a précisé que le chef de l'Etat préconise le recours à la contractualisation, qui est un mode de gestion des hôpitaux sous forme de contrats entre les structures publiques et privées et la Sécurité sociale sur la base de tarifs de remboursement convenus ensemble. C'est cette contractualisation demandée par le chef de l'Etat qui va nous donner la solution proposée dans le plan. Quand le patient sentira-t-il les premiers résultats de la mise en œuvre de ce plan ? Immédiatement non. Car le cancer est une maladie de longue haleine. Mais nous commençons à avoir un certain nombre de résultats chez les professionnels de santé qui disent que la prise en charge des malades qui, au fur et à mesure de son application, connaît une petite amélioration dans le circuit du patient car c'est cela le gros problème (parcours du malade) qu'il faut revoir. N'oublions pas que c'est une maladie très complexe qui nécessite l'intervention d'une vingtaine de spécialités pour faire le diagnostic, le traitement et le suivi. Le but est d'organiser ce circuit, le rendre fluide, où le malade aura des soins de proximité le plus proche de chez lui. C'est ce que nous allons mettre en place en ouvrant des unités de proximité et d'orientation pour l'accueil et l'accompagnement des malades. Vous avez été élu à l'académie française de chirurgie. Qu'est-ce que cela vous fait ? C'est une fierté pour l'Algérie. Et une fierté pour le plan cancer car c'est au moment où j'ai présenté le plan national cancer, que les membres gérant de l'académie de chirurgie française, invités à Oran, ont jugé que je dois rentrer à l'académie. J'ai accepté et il y a quelques semaines, nous avons été reçus à l'académie et les Algériens étaient très fiers. Cet honneur a été décerné aussi au professeur Merad, un de mes étudiants. C'était le jour le plus heureux de ma vie car dans mon allocution, j'ai, encore une fois, parlé du plan national du cancer et surtout qu'il était soutenu sans réserve par le chef de l'Etat. L'autre avantage ce serait, modestement, une sorte d'encouragement et d'espoir à nos jeunes chirurgiens pour espérer aller à cette académie dont la création remonte à trois siècles.