Un hommage a été rendu à la grande comédienne, Chafia Boudraa, à Tizi Ouzou, en présence de ses compagnons de lutte, des planches et des plateaux de tournage. « Aujourd'hui j'ai rajeuni de 20 ans, je suis très chanceuse d'avoir eu droit à une telle distinction. Je suis ravie et honorée d'être parmi vous sur cette terre qui a enfanté des femmes et des hommes qui se sont sacrifiés pour l'indépendance de l'Algérie », a-t-elle souligné non sans émotion. « Ce matin, le wali de Tizi Ouzou m'a donné la gerbe de fleurs que j'ai déposée au niveau du cimetière des martyrs de M'douha à leur mémoire (chouhada des massacres du 8 mai 1945). Il n'y a pas plus grand cadeau que vous pouvez me faire, je suis émue », a-t-elle déclaré d'une voix brisée par l'émotion. Le wali de Tizi Ouzou a indiqué, pour sa part, que « tous les hommages qu'on pourrait rendre à cette femme, une géante du cinéma, ne peuvent refléter sa grandeur ni être à la hauteur de sa personne » Une exposition autour du parcours de l'artiste et la projection de vidéos retraçant les grands moments ayant marqué sa carrière artistique réalisée par l'association « Lumière » ont ouvert la cérémonie. Ses compagnons du 7e art comme Hacène Benzerari , Amel Himeur, Meziane Yala et Mohamed Adjaimi ont relevé les qualités artistiques et surtout humaines de l'actrice. Chafia Boudraa reste pour tous cette femme modèle et surtout une dame courage qui campe très bien des rôles de femme soumise et combattante. Avec le même tonus qu'à 15 ans, elle nous confiera que « tout acteur doit s'habiller de son rôle ». En fait, ces rôles qu'elle incarne à merveille sont le plus souvent le reflet inspiré de son propre vécu. Elle s'était retrouvée veuve à 30 ans avec à sa charge cinq enfants. Son époux était un chahid tombé au champ d'honneur en 1961. Ce veuvage précoce l'avait contrainte à faire de nombreux métiers (infirmière, standardiste et gouvernante), puis à « émigrer » à Alger. à l'école de la vie Elle avait quitté Constantine, sa ville natale et son quartier Sidi Akenouche où elle naquit le 22 avril 1930. Un de ses voisins était l'illustre Abdelhamid Ben Badis dont elle se rappelle encore les funérailles. « Ce jour-là, j'avais porté la tenue (jupe verte, chemisier blanc et cravate rouge) cousue par ma mère quand mon père m'avait inscrite pour la première fois chez les SMA à l'âge de onze ans ». Chafia Boudraa, de son vrai nom Atika Latrèche, était, dès son jeune âge, une femme battante. Elle avait fréquenté en même temps l'école coranique et l'école moderne où elle apprenait le français. Juste après son mariage à l'âge de 15 ans, son mari a été emprisonné par l'armée coloniale à Lambèse (Batna) où elle se rendait, au moins deux fois par semaine, qu'il vente, qu'il pleuve ou qu'il neige. Elle a été formée à la dure réalité de l'école de la vie. C'est cette éducation qui lui a permis d'être facilement « Aïni », rôle que lui confia Mustapha Badie dans le feuilleton « El Hariq » adapté de la trilogie « Algérie » de Mohamed Dib. Ce rôle l'avait révélée au petit écran avant qu'elle n'intéresse les milieux du cinéma et du théâtre de scène ou radiophonique. Toutefois, elle avait joué auparavant « La mégère apprivoisée » à la RTA et tenu un rôle dans « L'évasion de Hassen Terro », film de Mustapha Badie en 1974. C'est d'ailleurs là que le réalisateur l'avait remarquée pour lui confier le rôle qui fera sa renommée. Consécration à Cannes Ensuite, elle va tourner avec les plus grands réalisateurs et jouer aux côtés de grands acteurs français dans notamment « Beur blanc rouge » de Mahmoud Zemmouri et « Hors-la-loi » de Rachid Bouchareb. Ce dernier film lui a valu la consécration qu'elle méritait et récompensait une carrière de près de 40 ans de cinéma et de théâtre. Chafia Boudraa a eu le prestige de gravir, en 2010, les marches du palais de la Croisette de Cannes. à ce propos, elle a raconté deux anecdotes sur ce séjour. « Durant toute la montée, Djamel Debouz ne cessait de m'embrasser le front. C'était un signe de reconnaissance de sa part pour l'avoir soutenu dans des moments difficiles durant le tournage ». La seconde est liée au foulard qu'elle portait ce jour-là. « Je voulais défier cette moralité qui interdisait aux femmes de porter le foulard en France. Je devais, dans un premier temps, mettre une tenue constantinoise à la demande de la ministre de l'époque, Khalida Toumi, que je salue au passage », a-t-elle raconté. « Mais je me suis ravisée en portant une tenue algéroise car pour moi, Alger, étant la capitale du pays, symbolisait toutes les contrées du pays et c'est cette unité nationale que je voulais exprimer à travers cette tenue », a-t-elle ajouté. A la fin de l'hommage, un diplôme d'honneur et des cadeaux symboliques qui font la particularité de la région (robe kabyle, bijou traditionnel, tableau de peinture et une écharpe en broderie berbère) ont été remis à la comédienne qui, pour sa part, a rendu un hommage à tous ceux qui ont contribué à cette initiative Enfin, Chafia Boudraa s'est refusée à porter un jugement sur le cinéma d'aujourd'hui, encore moins sur la nouvelle génération d'acteurs. Elle s'est abstenue aussi d'évoquer la question du statut de l'artiste.