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« La guerre de Libération a été l'ultime recours pour briser les chaînes du colonialisme » n Entretien réalisé par Amokrane H. Mohamed El-Korso, professeur en histoire
Le déclenchement de la guerre de Libération fut l'unique thème de la réunion du groupe des « 22 » en juin 1954, à Alger. Le choix de la lutte armée fut unanime. Pourquoi une telle décision ? Comment a-t-on abouti à ce moment de rupture ? La lutte armée pour libérer le pays du joug colonial était inscrite dans le cours de l'Histoire du peuple algérien depuis 1830. Faut-il rappeler la résistance populaire armée menée par les aïeuls, ceux que la grande Histoire du 1er novembre 1954 consacrera comme étant les chefs historiques de la guerre de Libération. Au congrès de Bruxelles (10-15 février 1927), les délégués de l'Etoile nord-africaine, Hadj Messali pour l'Algérie et Chadly Khairallah pour la Tunisie, ont réclamé l'indépendance de l'Afrique du Nord. Hadj Messali demanda, entre autres, « l'indépendance de l'Algérie, le retrait des troupes françaises d'occupation, la constitution d'une armée nationale ». Les fondements même du combat libérateur venaient d'être posés. Le chemin était tracé. L'OS, le CRUA, « les 22 » (ou 21), « les 5 », « les 6 », le « FLN » et « l'ALN » ont été l'aboutissement inéluctable mais logique à la fois d'un cheminement sinueux et douloureux marqué, d'une part, par le martyre du peuple algérien et, d'autre part, par le louvoiement de la direction du parti indépendantiste. La rupture ?! Il faut souligner les manquements historiques de la France coloniale à ses multiples engagements, le truquage des élections, les arrestations arbitraires et les condamnations à de très lourdes peines de prison, les assignations à résidence, les bains de sang qui ont marqué les manifestations politiques pacifiques dont celle du 14 juillet 1953 à Paris qui s'est soldée par la mort de six militants algériens. C'est sans rappeler, par ailleurs, le souvenir des déportés en Nouvelle-Calédonie et en Corse dès 1864. L'Algérie soumise en apparence, mais rebelle dans son âme, a cultivé l'esprit de résistance armée porté par l'émir Abdelkader, les cheikhs Bouamma, El Hadded, El Mokrani, Ouled Sidi Cheikh, etc. Les poèmes consacrés aux menfiyoune, aux actes héroïques des bandits d'honneur, aux victimes du génocide de mai 1945, les chants patriotiques « Hayou Ech Chamel El Ifriqi », « Mindjibalina », etc., ont été le credo non pas d'une mais de plusieurs générations, d'est en ouest, du nord au sud, rurales ou citadines, lettrés ou illettrées, diplômées ou non, démunies ou aisées. La guerre de Libération a été l'ultime recours pour briser les chaînes du colonialisme et libérer le peuple algérien. La rupture dans le martyre n'a pas été une option prise de gaîté de cœur pour ceux qui n'avaient d'autres armes que la force de leurs convictions et le sacrifice en mémoire. Le 1er novembre 1954 est à la fois un commencement et un aboutissement. Le président Benyoucef Benkhedda écrivit que « le 1er novembre 1954 n'est pas une rupture avec le passé, il n'est pas une irruption spontanée. C'est l'aboutissement d'un long processus de maturation... » Quels sont, à votre avis, ses origines ? C'était un commencement en ce sens que l'Algérie entamait une nouvelle phase de son histoire militante et combattante. Militante parce que le travail de sensibilisation avait pris un autre sens, pour un autre contenu, pour une autre Algérie. Les luttes politiques, les revendications pacifiques relevaient d'un passé obsolète et révolu. Combattante, parce que les colonisés algériens à l'image de leurs frères tunisiens et marocains, mais plus encore vietnamiens avaient décidé de prendre leur destin en main. La maturation a commencé par le travail sur soi d'abord, le procès du colonialisme français ensuite et enfin l'analyse objective de la situation qui prévalait dans le monde au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La lutte des peuples colonisés n'allait pas tarder à entrer dans une phase active. La phase précédant le passage à l'acte le jour « J » a été marquée par la mobilisation des faibles moyens humains et matériels, à l'intérieur comme à l'extérieur, et surtout par la dotation de la Révolution d'une charte historique appelée « Proclamation au peuple algérien, aux militants de la cause nationale », médiatiquement connue sous le nom de Déclaration du 1er Novembre 1954. Il y a lieu de signaler que le Bayane awel nouvember qui orne les bureaux des officiels n'est pas une fidèle traduction de l'original en langue française. Des rajouts, entre autres, en déforment le sens et la portée puisqu'ils accréditent, indirectement, la thèse de la guerre sainte, c'est-à-dire d'une guerre de religions. Ce qui n'a jamais était le cas. Pour les concepteurs de la Déclaration du 1er Novembre, il n'y avait qu'un seul ennemi, le colonialisme. Les catholiques, les juifs, les communistes, etc. qui ont apporté un précieux concours à cette guerre anticoloniale en sont la meilleure preuve. Au matin du 1er novembre 1954, les armes ont retenti dans beaucoup de régions. Comment la France a-t-elle réagi ? Un volumineux rapport intitulé « l'Algérie du demi-siècle », daté d'octobre 1954, décrivait une Algérie globalement tranquille, acquise à la France. Même si certains mouvements suspects ont été signalés ici et là, particulièrement dans les Aurès, la surprise a été totale au lendemain des fêtes de la Toussaint marquées par des attaques et des sabotages à travers toute l'Algérie. Soixante-dix attentats à travers une trentaine d'endroits. Fidèle à sa tradition, la France a réagi sauvagement alors que la Déclaration du 1er novembre a laissé la porte ouverte à des discussions avec les autorités françaises. Fort de sa puissance militaire et de sa place dans le monde, quand bien même si elle venait de subir une cuisante défaite à Diên Biên Phu, la France coloniale n'a jamais envisagé de quitter l'Algérie, proclamée département français bien avant la Savoie (1860). Du point de vue de la législation française, l'Algérie n'était pas une colonie à l'image de la Tunisie, du Maroc ou des lointaines colonies de l'Afrique française, dont la Mauritanie, la Guinée, le Niger, le Soudan, le Sénégal, ou ceux de l'Afrique équatoriale comme le Togo, le Tchad et l'Oubangui-Chari. L'Algérie relevait directement du ministère de l'Intérieur et non du ministère des Colonies. C'est dire l'impact politique, militaire, stratégique, économique et par la suite affectif qui en résultera pour les pieds-noirs et la France au lendemain de l'indépendance de l'Algérie. Le traumatisme pour cette France coloniale et post-coloniale est l'une des constantes communes à toutes les familles politiques de France. Partant du principe cher au ministre de l'Intérieur de l'époque, François Mitterrand, que « l'Algérie, c'est la France, et la France ne reconnaîtra pas chez elle d'autre autorité que la sienne », les différents gouvernements de la IVe puis de la Ve République ne reculeront devant rien. Destructions massives des mechtas, établissement des zones interdites, emploi du napalm, mais pis encore, recours à la torture violemment dénoncée sous l'ère des SS. Remise au goût du jour, elle sera institutionnalisée et pratiquée à ciel ouvert, y compris dans les écoles de la République. L'Algérie combattante venait d'entrer de plain-pied dans sa guerre de libération. Celle-ci s'étendra à la métropole. Déclarée par les autorités françaises, capitale du FLN au lendemain de l'implantation de la Fédération de France du FLN, Paris renouera avec le massacre des protestants le jour de la Saint Barthélémy (1572) en autorisant un certain 17 octobre 1961, le massacre de milliers d'Algériens par une police sous les ordres d'un ancien collaborateur SS, Maurice Papon. La guerre d'Algérie a été qualifiée longtemps « d'opérations de maintien de l'ordre » par la France, qui finira par se rendre à l'évidence en reconnaissant en octobre 1999 qu'elle avait à faire non pas une « rébellion », mais à une « guerre » qui avait mis à feu et à sang ses trois anciens départements d'Algérie. Cette page n'est pas tout à fait tournée, pour preuve le climat des affaires entre les deux pays et les questions mémorielles toujours en suspens de part et d'autre. Le peuple algérien a mené une grande révolution. Elle décréta le principe de la collégialité, condamnant à jamais le culte de la personnalité. Quelles sont ses autres caractéristiques ? Le principe de collégialité a été la marque de fabrique du FLN historique. C'est du moins ce qui transparaît à travers les textes fondamentaux de la Révolution que sont en l'occurrence la Déclaration du 1er Novembre et la plate-forme de la Soummam appelée aussi charte de la Soummam. Le culte de la personnalité y est certes condamné, mais la collégialité n'a pas été toujours au rendez-vous. De nombreux et graves dépassements ont été déplorés. Longtemps occultés, ils nous éclairent sur la vie au quotidien des combattants dans les maquis, dans les travées de la diplomatie, dans les prisons, etc. Il est tant de dire qu'il y avait au moins deux FLN-ALN. Celui des chefs militaires et politiques dont certains se sont très vite projetés dans l'avenir et se sont comportés en temps que tels, et celui des djounouds et du peuple qui n'avaient d'objectif que la concrétisation de la cause suprême. Aussi grande soit-elle, la Révolution algérienne reste inachevée. Le 1er novembre 1954 avait sonné le glas du mythe de « l'Algérie française ». 62 ans après le déclenchement de la glorieuse Révolution, que reste-t-il de son esprit ? Le sort de « l'Algérie française » a été définitivement réglé par le « peuple en armes ». Concernant le second volet de votre question, on a pris l'habitude de dire et d'écrire que l'actuelle génération tourne le dos à l'histoire et au pays. Ce raccourci zappe surtout les ambitions exprimées et avérées de la génération que j'appellerais la génération-monde. Bien ancrée dans ses racines, fort de son savoir et de ses capacités, ouverte sur l'avenir, à l'origine de nombreuses innovations technologiques et autres, elle n'aspire à rien d'autre qu'à servir son pays et son peuple. Son modèle, la Corée du Sud. Ruinée au sortir de la guerre en 1953, la voilà devenue un géant économique avec sa technologie de pointe, ses voitures qui défient toute concurrence. Dépourvue de richesse naturelle, la Corée du Sud a priorisé l'investissement dans la ressource mère de tous les développements, l'Homme. Dans l'éducation des Coréens et leur formation à tous les niveaux, du primaire au supérieur. La recherche scientifique occupe une place centrale dans le développement tous azimuts de ce pays. Pour revenir à votre question, il y a un préalable si l'on veut préserver les acquis de Novembre et les inscrire dans le long cours de l'Histoire : repenser l'Etat et la société dans toutes leurs fonctions et dimensions. Le monde évolue à une vitesse vertigineuse. La communication emprunte des chemins qui ne sont pas ceux d'il y a 10-15 ans. Il ne sert à rien. Bien plus, il serait négatif de cultiver un passé fait plus de slogans que de savoir, de repli sur soi en lieu et place d'ouverture, de marginalisation et d'exclusion au lieu d'intégration des compétences sûres. Pensons et définissons l'avenir en termes nouveaux, dynamiques et compétitifs. L'Algérie du 1er Novembre a été l'œuvre d'une génération jeune, motivée, prête au sacrifice suprême. Le secret de sa réussite, la foi en elle-même, en son peuple et en un avenir débarrassé du carcan colonial. Une nouvelle génération d'Algériens tout aussi motivée que l'a été celle de Novembre fera un jour prochain irruption pour construire son Algérie, celle de ses rêves, de ses ambitions, de ses fantasmes. « Il faut être fidèle à la vérité même lorsque notre propre parti est en cause. Tout citoyen a le devoir de mourir pour sa patrie, mais nul n'est tenu de mentir pour elle », écrivit Montesquieu. A-t-on écrit assez notre histoire ? Tout à fait. Le mensonge a rattrapé tous ceux qui ont travesti l'histoire de la guerre de Libération et se sont posés en censeurs intraitables de la vérité historique. Le mur de Berlin a entraîné dans sa chute l'implosion d'un empire dont l'histoire mythique et romanesque n'a pas résisté aux souffrances endurées et aux aspirations brimées des peuples qui ont fait sa gloire. D'aucuns jugent que le déclenchement de la révolution ne fut pas l'œuvre d'intellectuels et que, à ce titre, elle a manqué d'une vision à long terme. Partagez-vous cette analyse ? « Le FLN n'appartient à personne, mais au peuple qui se bat. L'équipe qui a déclenché la révolution n'a acquis aucun droit de propriété sur celle-ci. Si la révolution n'est pas l'œuvre de tous, elle avortera inévitablement », avait déclaré Abane Ramdane à Abbas Ferhat à la veille de son départ pour Le Caire. C'est plus que clair. La lecture critique de la Déclaration du 1er Novembre et de la plate-forme de la Soummam, pour ne nous en tenir qu'à ces deux textes fondateurs, témoignent de la pensée dynamique, perspicace et surtout de la prise en compte du socle sociopolitique de l'Algérie et de la Révolution. Et puis, c'est quoi un intellectuel en 1954 ?! Les deux textes fondateurs cités plus haut ne contenaient-ils pas en gestation, avec toutes les limites du moment qu'imposait une guerre impitoyable, un projet de société ?! Votre question en cache une autre, celle du bicéphalisme, sur le terrain, de la Révolution. Ayons le courage de dire qu'il y avait d'un côté, la paysannerie qui a payé le prix le plus fort au XIXe siècle et a le plus souffert des injustices de la colonisation et de ses valets représentés par les caïds, aghas et bachaghas, gardes champêtres et autres chaouchs. Les injustices portées à leur paroxysme ont été des facteurs déterminant dans la prise de conscience de la paysannerie qui s'est retrouvée, de fait, aux premières loges de la guerre de Libération.L'occasion de (re) faire entendre le baroud, de prendre sa revanche sur ses anciens maîtres et bourreaux était à sa portée. Elle s'en saisira comme d'une aubaine. Bien sûr, il serait réducteur de s'en tenir à cette ébauche d'approche, que la sociologie historique de la Révolution ne dément pas, par ailleurs. En contrepartie, accusés d'avoir pris le train en marche, les « intellectuels » seront pointés du doigt et marginalisés. Ce faux procès fait aux intellectuels, comme à d'autres, procède d'une volonté d'hégémonisme et traduit le retard ancestral des mentalités longtemps sous le joug de la vassalité matérielle et morale. D'où cette difficulté à s'en sortir, à s'émanciper, à se dépasser et à se projeter dans l'avenir. C'est ce qui explique, en partie, notre incapacité à concevoir, à ce jour, un projet de société cohérent, ouvert sur l'Algérie des Algériens et sur le monde. La assabiya dans sa conception khaldounienne a épousé les contours de la lutte de libération puis celle de l'Algérie post-indépendante. En guise de mot de la fin, je dirai que la bravoure, comme la mort, était là où se trouvait l'ennemi, là où le commandait le devoir. Au sommet de djebel Asfour ou dans les rues grouillantes d'Alger, dans les ravins escarpés des Aurès-Némemcha ou dans la Citroen 2 chevaux qui servait au transport dans Alger de Ben M'hidi, Benkhedda, etc., dans une casemate ou à l'intérieur du bloc opératoire de l'hôpital Mustapha, en embuscade ou autour d'une table de négociations face à des chevronnés de la politique français.