Chouli prend la main du lecteur et l'introduit dans la vie d'un journaliste, une des cibles privilégiées des groupes terroristes. Le métier dans son entité tel que le connaît et a eu à le pratiquer comme l'un des rares professionnels de la presse écrite est remué dans ses entrailles. De la confection de bout en bout d'un journal, des ficelles de la profession, du profil du journaliste, à sa vie de famille quand il se rappelle en avoir une. Abdelmadjid, comme tous ses collègues de la profession, vit dans, avec et pour le journal. Avec ses bonnes feuilles, ses tares, ses travers, ses professionnels, ses appétits... Le personnage central fictif de Chouli est néanmoins tiré de la réalité. Toute ressemblance avec des personnes réelles n'est que le fruit d'un pur hasard et fortuit, avertit l'auteur. Tout passe en revue, les couvertures ciblées, les censures, les coups bas mais aussi l'intégrité et l'honnêteté, avec son lot de règles souvent bafouées mais encore tout de même respectées par ailleurs, l'éthique et la déontologie qui doivent régir la profession. Ce quatrième pouvoir craint, adulé, bafoué, insulté, mis à contribution, sous le boisseau, muselé... Mohamed Chouli parle en connaissance de cause. Madjid aussi. Le héros du roman n'est pas né journaliste pour obéir, obtempérer, même lorsque autour de lui, tout n'est que tuerie, massacre, néant. Son rôle à lui est d'informer, et cela quel que en soit le prix. Un dilemme que de continuer à se rendre à la rédaction, l'animer et laisser encore une fois et particulièrement en ces jours sans, les siens, morts de peur, d'inquiétude, pour lui. Madjid n'est pas un surhomme, mais il est convaincu qu'il est investi d'abord de cette mission d'informer avant celle d'être père de famille. L'auteur se prend un malin plaisir à décrire cette ambiance à la fois saine et malsaine, slalomant entre les deux avec les mots qu'il faut à la place qu'il faut. Une atmosphère tantôt détendue à la rédaction avec les collègues, avec chacun son bout de vie, tantôt à glacer le sang lorsque des attentats plantent le décor d'une Algérie meurtrie mais pas abdiquée. Et son porte-flambeau, Chouli le choisit dans la famille de la presse dans laquelle il a longtemps roulé sa bosse, lorsque le métier était synonyme de sacrifices, de passion, d'abnégation... A l'image de ces dizaines de journalistes qui ont fait les frais de cette mission vouée à l'incertitude, tombés au nom de l'information. Chouli fait revivre ces années-là, avec exactitude, volant même parfois à la réalité des instants ultimes pour les prêter à la fiction et en écrire l'histoire pour mémoire. Madjid est une des victimes de cette violence terroriste. Il est ciblé par des voisins. Mobilisation générale dans le quartier et dans la famille pour ce père de famille exemplaire, qui, jusque-là, arrivait à survivre à la peur, à la mort ambiante grâce au soutien inconditionnel de sa femme et à l'amour qu'elle lui porte depuis leur union, ainsi que celui de ses enfants... Grâce aux secours du voisinage, Madjid échappe à une fin tragique. Mais n'en divorce pas pour autant avec son métier. Sa femme lui propose ce palliatif d'écrire un livre pour rester à la maison. Mais lui en bon croyant s'en remet à Dieu qui écoutera ses prières. Alors qu'il pensait dans sa retraite de malade avoir été oublié à en penser même combien le métier est ingrat, voilà son élève journaliste qui vient lui proposer d'écrire une chronique hebdomadaire dans le journal qu'il dirige, le défi. Ce à quoi se prête à relever l'ex-rédacteur en chef de « La voix démocratique », anciennement journaliste à « La patrie », en acceptant de sortir de sa tanière convalescente, en acceptant ému de réécrire pour son ami Idir. Un nom à consonance de vie doublement symbolique du combat qui continue au sein de ce nouveau-né « Le défi », en signant « La plume dans la plaie » en « der ». Et quel meilleur message que celui suggéré par l'auteur qui nous gratifie de cette leçon de la vie et puis aussi de cette volonté de fer d'un pays qui ni n'abdique ni se soumet grâce à la ténacité de ses femmes et de ses hommes, qui ont fait front inébranlable, devant l'extrémisme violent. Saliha Aouès « La plume dans la plaie » de Mohamed Chouli, éditions El Hikma, 294 pages.