Comment avez-vous apprécié les travaux de l'atelier scientifique tenu récemment à Tazrouk visant à dégager une stratégie de développement du tourisme écologique et culturel dans les parcs de l'Ahaggar et du Tassili ? Je suis ravie des résultats obtenus. Franchement, notre succès était l'implication effective des professionnels locaux du tourisme dans la prise de décision. Pour moi, travailler dans le cadre de ce projet était un excellent exercice de gouvernance participative en écotourisme qui m'a permis de proposer une stratégie émanant de la population locale, mieux placée pour mettre en valeur sa région. En outre, l'idée du directeur national du projet, Salah Amokrane, d'organiser l'atelier à Tazrouk, malgré l'absence de structures hôtelières, fut très pertinente. Elle a permis d'expérimenter la formule « hébergement chez l'habitant », dont les revenus ont été versés directement aux principaux concernés. Ce concept qui met au centre la rencontre entre le visiteur et l'habitant, est très important. Plus qu'un séjour alternatif, c'était surtout une occasion, pour les responsables des ministères des différents secteurs conviés, de vivre au cœur des réalités et difficultés du terrain. Vous avez présenté les grandes lignes du diagnostic concernant la situation du tourisme national. Quels sont les principaux obstacles à sa relance ? Relancer le tourisme de manière générale revient à résoudre en urgence les problématiques environnementales, encore plus prégnantes dans ces milieux fragiles comparativement au reste du territoire national. Ensuite revoir l'offre en structures d'accueil (y compris chez l'habitant), qui demeure en deça des attentes et devra impérativement être cadrée dans un cahier des charges respectant des paramètres environnementaux et standards de qualité, tels la gestion des déchets, le cachet architectural, le décor, la gastronomie locale. Concernant le tourisme national, il est clair que les autres freins restent la cherté des moyens de transport et la méconnaissance du produit lui-même. C'est un tourisme qui sort des sentiers battus mais qui souffre du manque de vulgarisation. A titre d'exemple, rappelons les leçons à tirer de certaines opérations initiées par la tutelle pour soutenir l'activité dans la région, dans le cadre de conventions et partenariats avec les œuvres sociales de certaines entreprises nationales permettant aux travailleurs et à leurs familles de passer des vacances dans le sud du pays. Les résultats étaient mitigés. De nombreux visiteurs n'avaient pas été « affranchis », créant des déçus des deux parts et qui renvoient à des motivations de voyages plurielles tout aussi complexes. Que préconisez-vous pour remédier à la situation ? Le tourisme saharien est à rebâtir. L'activité a toujours existé, mais il importe de l'envisager comme une forme à reconstruire à partir des fondements de la durabilité, c'est-à-dire en intégrant surtout pour notre jeunesse une responsabilisation en amont, indispensable par le biais d'accords ou « charte éthique du voyageur » avec des engagements humains et environnementaux à respecter lors d'un séjour touristique dans ces espaces protégés et fragiles. Par ailleurs, développer le tourisme national, c'est d'abord appréhender les attentes de nos concitoyens voyageant pour ces destinations lointaines. Il faudra tout de même distinguer deux sortes de clientèles. Celle déjà initiée représentée en grande majorité d'Occidentaux à la recherche de séjour en totale rupture avec leur mode de vie, mais qui ne viennent plus. Et les touristes nationaux dont la perception de la destination est déterminante dans les résultats attendus. Il en ressort que les touristes moins expérimentés témoignent de leurs exigences relativement élevées en matière d'accueil et de service. Séjourner chez l'habitant, c'est partager durant quelques jours le quotidien d'une famille, vivant très modestement mais offrant un accueil et une chaleur humaine exceptionnels ! Une expérience très enrichissante qui permet au voyageur de découvrir une autre manière de vivre avec un dépaysement garanti mais la question du confort reste à cerner. Il faudra distinguer le rustique du moins qualitatif et c'est là qu'il faudra agir. Les atouts écologiques sont légion mais ce genre de tourisme demeure très peu exploité. Pourquoi ? La lente émergence de ce type de tourisme dans notre pays est tout à fait compréhensible et ce, pour plusieurs raisons. Par exemple, la confusion de vocabulaire autour des nombreuses formes et appellations, y compris chez certains responsables. À titre illustratif, on a constaté lors des ateliers, que définir l'écotourisme au sein des parcs culturels contient une ambiguïté fondatrice dont on a du mal à se sortir : en effet, cette forme de tourisme exercée exclusivement dans les milieux naturels intacts ou peu perturbés est centrée sur la découverte des écosystèmes ou agrosystèmes. Mais elle s'intéresse aussi aux hommes qui y vivent en symbiose et à leur culture. Et c'est justement cette dernière dimension qui est souvent mal perçue. Au-delà de ces aspects, pour l'instant, si la vision générale du « tourisme durable » est omniprésente dans le discours politique, elle est malheureusement très peu appliquée sur le terrain ; et lorsqu'elle l'est, c'est à travers des mesures peu significatives ne réalisant pas totalement l'ambition du concept de base. Quant aux touristes, ce modèle intéresse plutôt des militants convaincus. Pour l'essentiel, ces formes de « tourisme alternatif » demeurent à l'heure actuelle un tourisme de niche, avec quelques tentatives et pratiques associatives minoritaires, voire encore marginales dans certains régions du pays, comme la Kabylie. L'enjeu pour l'Algérie se situe justement dans ce type de tourisme, conçu comme une opportunité d'accéder d'emblée à un développement touristique plus maîtrisé, sans passer par les erreurs du tourisme de masse que nous connaissons. L'urgence est d'encadrer les projets de développement et susciter une prise de conscience à même de faire évoluer les comportements. Quelle est la réaction de la population et des acteurs locaux par rapport au projet ? Une réaction enthousiaste et pour la première fois confiante car les acteurs locaux ont bien apprécié notre approche fondée sur des programmes tangibles. Notre expertise a été menée durant une année au plus proche de la réalité locale. Nous avons écouté nombre d'interlocuteurs : notables, agents de voyages, hébergeurs, guides, chameliers, artisans, associations, groupements de femmes, agriculteurs, autorités locales... et traduit leurs attentes en adaptant les actions de développement aux spécificités du territoire. Et c'est là la force de notre proposition. Les projets-pilotes à réaliser dans deux sites prioritaires choisis au sein des parcs culturels du Tassili n'Ajjer et de l'Ahaggar seront de véritables cas d'école, à même d'être dupliqués à travers l'immensité des espaces protégés sahariens. Êtes-vous optimiste quant au retour en force du tourisme national et international dans le Grand-Sud, comme ce fut le cas dans le passé ? J'adore citer le grand auteur algérien Yasmina Khadra : « J'aimerais un jour raconter mon pays dans sa beauté, transcender les fausses notes et supplanter les discours négatifs. » Je reste persuadée que nous ne pouvons plus continuer à regretter le passé et désespérer de l'avenir. Concernant le retour en force du tourisme international dans le Grand-Sud, même s'il n'est pas d'actualité, pour le moment, il a été substitué par le national en forte progression. Nous devrions profiter de cette situation de vacuité pour construire des destinations durables. Seulement cessons de faire des constats dévalorisants et surtout des projets insensés dans ces milieux fragiles. Nous l'avons constaté lors de cet atelier, les populations locales sont motivées, il suffit de les accompagner, souvent avec des moyens financiers bien dérisoires. Si j'ai une certitude, c'est que ces communautés sont fatiguées d'écouter les discours des experts et autres, l'attente est trop grande et la déception souvent récurrente. Désormais, la volonté de l'Etat de développer le tourisme national devra être suivie d'actions tangibles sur le terrain. Nous avons identifié les opportunités, formulé des projets pragmatiques. Reste à les concrétiser.