« Bled », non, ce n'est pas le dernier tube d'un rappeur du cru ni l'affiche d'un film dégoulinant d'exotisme. C'est le titre du douzième roman que vient de publier Tierno Monénembo. Il relate les déboires de Zoubida, une jeune Algérienne victime de l'intolérance de son milieu qui la réduit à un corps corvéable et taillable à merci. Victime de viols, elle s'enfuit avec son bébé pour échapper à la violence des siens. L'action se situe à Aïn Guesma, une localité qui, raconte l'auteur, dans une interview récente au magazine Le Point, existe réellement. « C'est un petit hameau à côté de Tiaret, où j'allais puiser de l'eau quand j'enseignais là-bas dans les années 1980. Mais ce lieu n'est indiqué sur aucune carte, et en cela, c'est le lieu idéal pour une fiction », dit-il. Parenté entre auteurs Le nom de l'écrivain guinéen ne doit pas dire grand-chose au grand public qui connaît davantage les footballeurs au soulier d'or. Il est pourtant l'une des meilleures voix d'Afrique actuellement, aux côtés du Congolais Alain Mabanckou ou de la Nigériane Chimamanda Ngozi Adichie. Il y a encore une trentaine d'années, les universitaires étaient férus des livres de Sembene Ousmane, le Sénégalais qui venait souvent présenter ses films dont les célèbres « Les Bouts de bois de Dieu » ou « Le Mandat » en Algérie et du Camerounais Mongo Beti. Les livres scolaires faisaient encore une place aux écrits de ces deux contestataires ou à ceux de Hampaté Ba. Les militants vibraient aux vers du Sud-Africain Breyten Breytenbach. Les regards dédaignaient à vrai dire le sud du Sahara. Il fallait être dans les facultés de lettres ou le milieu restreint du journalisme, de la politique ou du cinéma pour pouvoir suivre les débats qui agitaient le monde des lettres en Afrique. Chinua Achebe, Thiango, Soyinka révélaient l'autre versant de l'Afrique anglophone. Par contre, peu d'échos arrivaient des pays lusophones comme l'Angola. La littérature africaine, certes peu foisonnante, n'était pas sans intérêt. La relation à la tradition, les tentations de l'exil, les déceptions nées des indépendances inachevées attestaient de cette parenté entre auteurs du Maghreb et d'Afrique noire. Un livre comme « Un enfant noir » du Guinéen Camara Laye rappelle par bien des aspects « le Fils du pauvre » de Mouloud Feraoun. A l'image de Kateb Yacine, Wa Thiongo n'a-t-il pas décidé de répudier l'anglais pour n'écrire que le kikuyu ? Tierno Monénembo, dans une interview au Point, a redit toute son admiration pour l'auteur de « Nedjma ». Les deux Afrique se tournent encore le dos. Hormis Yasmina Khadra qui situe les péripéties de son roman « L'Equation africaine » dans la corne de l'Afrique, les intrigues de nos romanciers se déroulent rarement, sinon jamais, dans des pays à vrai dire lointains et peu connus. Les drames de l'émigration semblent néanmoins secouer cette apathie et quelques fictions s'inspirent de cette tragédie. Les produits culturels circulent peu. Les écrivains d'Afrique pour se faire connaître passent davantage comme le Djiboutien ou Abdourahman Ali Waberi, l'Ivoirien Ahmadou Kourouma par les éditeurs ou les médias européens. Même les grands festivals du cinéma comme ceux d'Ouaga ou Carthage n'ont plus le même rayonnement. A l'heure où « la saison de la migration vers le Sud », pour reprendre le titre d'un roman du Soudanais Tayib Salih, est de retour, la dimension culturelle des relations ne doit pas être négligée, encore moins sacrifiée. La place qu'offre le Sila aux auteurs d'Afrique est déjà un pas, le début d'un processus qui doit être poursuivi et conforté.