Ils sont rares, ceux qui peuvent citer deux ou trois écrivains de pays même pas si lointains tels que le Sénégal ou le Nigeria. Ne parlons pas du Mozambique ou du Burundi, dont les étudiants dans nos universités s'étonnent de cette ignorance. A vrai dire, elle n'est pas un phénomène national, tout le monde en Afrique regardant vers le Nord, terre d'espoirs et de mirages. Même au Kenya, on ignore presque tout de la Sierra Leone et, en Zambie, hormis le joueur Weah et, depuis quelques mois, Ebola, on doit sûrement connaître peu de choses du Liberia. Les aires culturelles et linguistiques restent étanches et compartimentées. Pourtant, le renouveau des expressions artistiques est l'une des manifestations de ce continent qui bouge et qui n'est plus une terre de désolation et de misère. L'Ethiopie, pour ne prendre que ce pays, qui, il y a un quart de siècle, symbolisait la déchéance du continent et sa descente aux enfers, attire les investisseurs. La littérature au Nigeria ne se réduit plus au patriarche Wole Soyinka, prix Nobel de littérature. Au pays et dans la diaspora éclatent des talents qui fascinent les milieux littéraires. Mais, on persistera sans doute, tempête médiatique aidant, à réduire ce grand pays aux horreurs de Boko Haram. Il fut un temps où dans les programmes scolaires algériens, une place était faite à des auteurs classiques comme le Camerounais Mongo Beti et au Guinéen Camara Laye, dont l'œuvre « l'Enfant noir » était une description d'une vie d'un enfant quasi identique au Fouroulou de Mouloud Feraoun. Durant une trentaine d'années, porté par les ambitions panafricanistes de notre diplomatie, le cinéma mais aussi la tradition littéraire d'Afrique avaient sa place. Leur connaissance n'était pas l'apanage des étudiants en littérature. Les anglophones louaient le talent de Chinua Achebe et les francophones s'extasiaient devant la sagesse de Hampaté Ba. Les films et les livres de Sembene Ousmene étaient connus d'un large public, et Oumarou Ganda ou Cissé étaient familiers de la cinémathèque ou de la télévision. Sur la Chaîne III, une émission comme « Tempo Africain » de Zehira Yahi traduisait cette ouverture. Elle se manifesta fortement au milieu des années 1980 avec les concerts de vedettes africaines comme l'Ivoirien Alpha Blondy ou le Nigérian King Sunny Adé. On connaît beaucoup moins la Béninoise Angélique Kidjo, qui ne s'est jamais produite sur une scène algérienne. D'autres vedettes comme Cesaria Evora ou Touré Kunda y ont certes animé des concerts, mais ils attirent moins de monde que les chanteurs du Moyen-Orient ou d'Europe. C'était l'époque où l'éditeur Laphomic, disparu depuis, publia quelques auteurs comme le Congolais Tchicaya u Tam'si ou Sony Labou Tansi, décédé en 1995. Meilleure découverte La décennie noire avait ralenti, sinon supprimé ce flux des échanges. Une nouvelle génération maîtrisant davantage la langue arabe, où peu d'auteurs africains sont traduits, n'a plus accès aux textes en provenance d'Afrique noire. Les liens entre pays africains sont surtout d'ordre politique ou sportif. Les échos des succès d'auteurs comme le Franco-Congolais Alain Mabanckou, l'Ivoirien Ahmadou Kourouma à l'humour ravageur ou du Camerounais Mutt-Lon en Occident nous parviennent via la télévision et la presse écrite. Récemment, de grands journaux étrangers ont encensé, autant que notre Kamel Daoud, Fiston Mwanza Mujila, l'enfant de Lubumbashi, classé parmi les meilleures découvertes. Difficile de trouver son livre à Alger, Oran ou Tlemcen. Le phénomène n'est pas nouveau. La faiblesse des réseaux d'édition et de distribution dans les pays d'Afrique oblige les auteurs à se « rabattre » sur Paris ou Londres, pour se faire connaître. Depuis quelque temps, les choses semblent vouloir changer. Dans le sillage du festival panafricain, mais à la faveur aussi de festivals se déroulant au Sud comme celui de Tamanrasset, les échanges ont repris. Un éditeur a publié quelques auteurs africains. Il y a quelques années, l'éditeur APIC avait lancé une collection alimentée par des auteurs africains comme Sami Tchak ou Tierno Monénembo. Le mouvement reste encore timide et fait face à des pesanteurs objectives. L'ouverture confirmée au Sila, même si les grands auteurs qui honorent les lettres africaines sont absents doit être confortée.