Le 19 mai 1956 est une date qui marque encore la conscience historique de beaucoup d'Algériens. Ce jour là, les étudiants - pas si nombreux - avaient répondu à l'appel du FLN, leur enjoignant de déserter les amphis. Ils étaient moins d'un millier dans les universités de Paris, Montpellier ou Alger. Cette dernière était la seule dans notre pays, mais elle avait un prestige et un rayonnement nord-africain. Les lycéens, dont des jeunes filles comme Hassiba Benbouali, Meriem Belmihoub en Algérie, mais aussi au Maroc et en Tunisie, rejoindront aussi les rangs de ces contestataires. Des élèves de zaouïas et des instituts des oulémas déserteront aussi les bancs et boycotteront les examens. Certains des animateurs de ce mouvement prendront, à l'image de Amara Rachid ou d'Allaoua Benbatouche, les chemins du maquis. Ils ne verront pas l'indépendance. Des hommes qui, par la suite, constitueront l'élite politique et scientifique du pays ont été au cœur de l'événement. Lamine Khane, Mohamed Seddik Benyahia, Redha Malek ou le Docteur Lalliam qui poursuivaient alors des études, rejoindront les rangs de la révolution. Beaucoup seront aussi des martyrs ou seront envoyés en formation dans les pays arabes ou en Europe de l'est pour constituer plus tard l'encadrement de l'Algérie indépendante. Citons les généraux Hocine Benmaalem, Abdelmadjid Cherif, Bouhara. La liste compte aussi Mahmoud Bouayed qui dirigera longtemps la bibliothèque nationale, ou l'universitaire Zahir Ihaddadene. Ils n'ont pas failli à l'appel d'une patrie souffrante. Les termes de l'appel furent judicieusement choisis. Ils s'adressaient autant au cœur qu'à la raison. «Avec un diplôme en plus, nous ne ferons pas de meilleurs cadavres ! A quoi bon serviraient-ils ces diplômes qu'on continue à nous offrir pendant que notre peuple lutte héroïquement, pendant que nos mères, nos épouses, nos soeurs sont violées, pendant que nos enfants, nos vieillards tombent sous la mitraillette, les bombes, le napalm... Et nous les cadres de demain, on nous offre d'encadrer quoi ? D'encadrer qui ?...». La grève est survenue à un moment où le FLN sous la houlette de Abane Ramdane cherchait à fédérer toutes les forces nationales pour constituer un front uni contre le colonialisme. C'est lui qui ramena les communistes, les oulémas et Ferhat Abbas dans les rangs du FLN. Les dirigeants de la révolution avaient alors appelé chaque catégorie sociale à créer son organisation, un cadre de mobilisation. Outre les travailleurs, les commerçants, les étudiants ne pouvaient rester en dehors du nouveau cours. Une année auparavant, dans la capitale française s'était constituée en juillet l'UGEMA (Union générale des étudiants musulmans algériens). Grâce à ses adhérents, elle va lancer l'appel à la grève illimitée à partir d'Alger où le poids de la répression commençait à peser et où les étudiants ultras prenaient fait et cause pour la colonisation. Peu d'étudiants hésiteront à répondre à l'appel du devoir. Ils se comptaient sur le bout des doigts. Certes, les conjonctures diffèrent. L'histoire interpelle différemment chaque génération qui affronte ses propres défis. L'histoire est, toutefois, accoucheuse de leçons. L'élite ne saurait être indifférente au sort du peuple dont elle est issue. Elle partage ses peines et ses ambitions. L'intellectuel dans la révolution algérienne n'était pas coupé du peuple.