Photo : Riad Par Samir Azzoug Le 19 mai est une date historique. En 1956, les étudiants et lycéens algériens ont manifesté, à travers la désertion des bancs d'école, leur soutien et scellé leur adhésion au mouvement révolutionnaire. Cette frange dite intellectuelle a été nombreuse à monter au maquis. Ils avaient à peine vingt ans à l'époque et déjà une conscience politique et un esprit nationaliste dignes des grands hommes. Pleins d'ambition, d'espoir et de volonté, les étudiants algériens d'alors avaient tout d'une génération engagée, fertile (intellectuellement), insoumise et active. 52 ans plus tard, qui sont les descendants de cette génération et quelles sont leurs aspirations ? Qu'est-ce qui les motive et en quoi croient-ils ? Qu'évoque le 19 mai pour les étudiants algériens du XXIe siècle ? Pour tenter de répondre à ces questions, une virée dans les deux universités les plus importante (USTHAB de Bab Ezzouar et l'université de Bouzaréah) de l'Algérois s'impose. Dans la première, mis à part la grande affiche placardée par une organisation estudiantine, rien ne laisse penser qu'aujourd'hui les étudiants sont en fête. «Je peux vous assurer que plus de 80% des étudiants, ici, ne savent pas ce que représente le 19 mai», se désole Djamel, étudiant et représentant de l'organisation. «En dehors des étudiants adhérents dans les différentes organisations, les autres sont insensibles. Ils sont ce qu'on appelle la majorité silencieuse», poursuit-il. Par «majorité silencieuse», le jeune étudiant désigne cette catégorie d'étudiants qui ne s'impliquent pas dans la vie estudiantine. «On a l'impression que rien ne les intéresse, sauf leurs notes de fin d'année», déplore Djamel. Fuyant la pluie, un groupe d'étudiants s'est réfugié dans les couloirs du bloc dit «les 400». Habillés à la «fashion victime», ils semblent préoccupés par un problème existentiel d'après le ton de la discussion et les mines déconfites. En nous approchant, nous nous rendons compte qu'il est simplement question de médisance. En engageant la conversation, on reste pantois devant le pessimisme, la désinvolture et le détachement de ces adolescents par rapport à la vie politique et sociale du pays. «La fac actuellement, on y vient pour chercher son âme sœur ou fuir le service militaire», ironise Reda, étudiant en génie civil. Interrogés sur leurs ambitions et quels postes ils veulent occuper une fois le cursus terminé, ils répondent unanimement : «Tenter de poursuivre nos études à l'étranger ou travailler dans une entreprise étrangère installée en Algérie.» Sur la vie politique, ces jeunes sont incapables de citer les noms des ministres, pas même celui de l'Enseignement supérieur. «Cela ne nous intéresse pas. Pour nous, c'est un autre monde, la politique» répondent-ils et, sur la raison de leur non-adhésion aux organismes estudiantins, «ils ne servent à rien. Ils sont là pour organiser des fêtes, se partagent l'argent et combinent avec l'administration pour avoir des privilèges pour eux et leurs copains», poursuit Reda. A l'université de Bouzaréah, section Histoire, une conférence a été tenue ce matin pour commémorer la journée du 19 mai. Accostant un duo d'étudiantes en hidjab, on pose les mêmes questions. «Je crois qu'avec une licence en histoire, on n'a pas le choix. On ne peut que se diriger vers l'enseignement», déplore une des jeunes filles. Comme si être enseignant était une tare ! Pourquoi pas écrire l'histoire de notre pays ? Et pourquoi pas faire de la politique ? Les deux jeunes filles éclatent de rire. «L'histoire du pays, c'est à nos aînés de l'écrire. Et puis, faire de la politique, pour quoi faire ?» répondent-elles, amusées. Quelles sont les raisons de ce désintérêt et de cette désinvolture ? Djamel évoque le mal-vivre des étudiants. «Les professeurs sabotent les étudiants. Nous sommes mal hébergés, mal nourris, à l'USTHB, nous n'avons même pas de cyberespace, le seul qui existe est réservé aux étudiants en fin de cursus. La bourse est de 2 700 DA par trimestre et le versement n'est pas régulier…» Des exigences, certes, indispensables, mais la volonté et la conscience sont-elles tributaires de moyens financiers et de confort. Si tel est le cas, comment expliquer l'engagement et la maturité de l'ancienne génération dont les conditions de vie étaient aux antipodes de celles d'aujourd'hui ?