Photo : Horizons. Les torrents de boue qui avaient déferlé notamment sur la ville de Bouharoun le 28 du mois précédent, suite aux importantes averses qui s'y étaient abattues, peuvent-ils se reproduire ? Quels sont les causes et les facteurs ayant amplifié les dégâts provoqués par les coulées de boue ? Que prévoient les pouvoirs publics pour réduire l'effet destructeur d'une catastrophe similaire si elle surviendrait à nouveau ? Les villes côtières de la wilaya de Tipasa sont-elles protégées contre les risques que charrient les inondations ? Ce sont des interrogations parmi tant d'autres que se posent les citoyens qui résident à Bouharoun et dans l'ensemble des agglomérations situées dans la bande côtière de Tipasa longue de 123 km. Ces appréhensions accentuées après l'épisode du 28 septembre dernier, que nombre de personnes rencontrées assimilent - toutes proportions gardées - aux inondations survenues à Bab El Oued en 2001, dénotent particulièrement chez les citoyens de Tipasa un souci légitime de savoir si leurs villes sont vraiment protégées contre ce risque et par voie de conséquence si des mesures prises précédemment par les pouvoirs publics en ce sens sont à même d'apaiser leurs craintes ? Avant d'aborder cet angle, revenir sur les causes ayant provoqué le déversement de grandes quantités de boue et autres détritus à Bouharoun s'impose. A en croire les estimations de la direction de l'hydraulique de Tipasa, au moins 30.000 tonnes de coulées de boue et de gravats de différentes natures ont été charriées ce jour-là à travers les quartiers de la ville et même à l'intérieur de plusieurs habitations, particulièrement celles situées à proximité du front de mer. « Parmi les détritus emportés par les torrents, j'ai vu de mes propres yeux des semelles entières de fondations et des morceaux de poteaux de bâtisses en construction. Cela prouve si besoin que le chantier de celles-ci (maisons) a été entrepris à même le lit des oueds ou dans des zones inondables, sinon comment les semelles ont pu être arrachées de leur emplacement ?», se demande un technicien de la DTP (direction des travaux publics) présent lors des travaux de déblayement engagés à Bouharoun juste après les inondations. Ainsi, il ressort des propos de ce dernier que l'urbanisation anarchique (constructions illégales hors du périmètre urbain réglementé par les PDAU) est l'un des facteurs aggravants de la catastrophe. Pour autant, comme l'explique un architecte urbaniste, la faute découlant de cet état de fait répréhensible n'incombe pas uniquement à ceux, parmi les citoyens, qui ont construit illégalement leurs maisons mais aussi aux services publics en charge de l'application de la loi. Outre l'extension urbaine anarchique, Gabi Youcef, directeur de l'hydraulique de la wilaya de Tipasa, avance une autre cause : « Pour prévenir l'effet destructeur des torrents et inondations à Bouharoun, il a été procédé ces dernières années à la mise en place de trois ovoïdes suffisamment grands pour canaliser les eaux pluviales avant leur déversement direct dans la mer. Seulement, ces ouvrages qui totalisent un linéaire de 3200 mètres et qui traversent dans trois zones distinctes la ville d'amont en aval, ont été malheureusement obstrués dans plusieurs endroits sous l'effet de l'action néfaste de quelques citoyens peu soucieux du rôle que jouent ces galeries en cas d'inondations. Ces manquements se manifestent entre autres par le dépôt de déchets sur certaines parties des ovoïdes ainsi que le passage de véhicules (tracteurs…) à leur niveau, ce qui est strictement interdit ». A ceci s'ajouterait une autre menace qui peut provenir des chantiers engagés dans les villes et la couronne périurbaine. En effet, si l'on se réfère aux affirmations de professionnels en la matière, il existerait des maîtres d'œuvre qui, pour une raison ou une autre, entassent les gravats et autres déchets extraits des chantiers à même le site, sans se donner la peine de les acheminer dans des endroits appropriés. «Ces détritus seront automatiquement emportés par les torrents un jour ou un autre. Il serait judicieux de réorganiser les chantiers afin d'éviter l'accumulation de gravats dans les sites de construction», conseille l'un d'eux. La présence de décharges sauvages sur les berges des oueds ou carrément dans leur lit se sont avérées lors des dernières averses «une source» non négligeable de détritus emportés par les flots, selon un responsable du secteur de l'hydraulique. L'autre facteur aggravant est la destruction du couvert végétal. Ce phénomène rend les sols fragiles et engendre, selon un écologiste, des coulées de boue. Ainsi, c'est la somme de ces causes et d'autres non citées qui ont a priori amplifié l'impact de l'orage enregistré le 28 septembre. CE QUI A ÉTÉ RÉALISÉ POUR PRÉVENIR DE TELLES CATASTROPHES Les autorités locales qui ont déboursé plus de 760 millions de dinars, selon Badjou Mohamed, chargé de communication de la wilaya, ont entamé depuis 2002 une opération d'envergure touchant 11 sur les 28 communes (que compte Tipasa) exposées à des risques d'inondations. « La première opération inscrite dans le cadre de la protection des villes contre les inondations remonte à 2002 et a concerné la commune de Sidi Ghilès (daïra de Cherchell). Cette agglomération côtière a été durement éprouvée par une violente crue de l'oued Guermoud qui a causé des pertes humaines ainsi que d'importants dégâts en novembre 2001. En conséquence, une enveloppe financière a été dégagée alors pour la réalisation des travaux de gabionnage, des ouvrages de réception et rejet des eaux pluviales et des regards en amont de l'oued en question », fera-t-il savoir. Et d'ajouter : « à partir de 2004, un système d'envergure de protection des villes contres les inondations ciblant particulièrement les localités de la wilaya vulnérables par ces risques a été entamé. Pour sa concrétisation, un budget de 760 millions de dinars lui a été consacré. Les travaux en question se répartissent en trois types d'actions menées au niveau de 11 communes. A savoir, l'aménagement d'une vingtaine de oueds en procédant à leur curage et nettoyage, la construction et la consolidation des murs des berges ainsi que leur reprofilage et enfin le curage en éliminant tous les obstacles qui freinent l'écoulement des eaux et le renforcement des ouvrages de drainage». D'AUTRES ACTIONS EN PERSPECTIVE Selon ce responsable, « en continuité de cette démarche, des actions similaires sont programmées dans les communes de Douaouda Marine et Attatba pour un coût de 45 millions de dinars, en plus des études qui ont été menées à terme pour protéger les villes de Menaceur, Messelmoun et Gouraya contre ce phénomène». Cela étant dit, que prévoient les pouvoirs publics pour renforcer la protection contre les inondations dans les villes côtières, à l'instar de Bouharoun, Bou-Ismaïl, Ain Tagourait rudement éprouvées lors des récentes averses ? Sur ce registre, Gabi Youcef dira que des mesures ont été admises pour remédier aux lacunes relevées. «Concernant la ville de Bouharoun, les trois ovoïdes drainant les eaux pluviales subissent actuellement une opération de curage intégrale dans le but d'éliminer toute obstruction. Cette action achevée, on procédera à la surélévation de ces deux côtés afin de les préserver contre toute agression», affirme-t-il. Sur un plan plus global, la direction du secteur de l'hydraulique compte engager des opérations touchant l'ensemble du réseau hydrographique (les oueds) côtier de la wilaya. «Maintenant que les oueds du bassin de la Mitidja ont été pratiquement reprofilés et curés, on s'attaque ces jours-ci à la correction torrentielle, qui passe par la stabilisation des sols et la réduction de l'énergie destructrice des torrents, du réseau hydrographique côtier de la wilaya», confie Gabi Youcef. Pour ce faire, des opérations de curage et nettoyage, de talutage, de débroussaillage et de gabionnage en cascade pour freiner la vitesse des eaux y seront entreprises. Outre ces actions, deux entreprises publiques ont été engagées dernièrement par la wilaya, dont le maître de l'ouvrage est la direction de l'urbanisme et de la construction, pour lancer des études de diagnostic concernant les réseaux des eaux pluviales, d‘assainissement et d'AEP dans des quartiers de quatre communes, en l'occurrence Bouharoun, Bou-Ismail, Ain Tagourait et Koléa. Ces deux sociétés auront également à réaliser, si nécessaire, des travaux de réhabilitation et d'extension des réseaux existants pour prémunir davantage ces zones urbaines contre les inondations.