- Timothy Morse, directeur général par intérim. Carol Bartz, ex-directrice générale. La révocation peu élégante de sa directrice générale remet Yahoo! au centre des spéculations, notamment celles n'excluant pas sa vente imminente et rajoute beaucoup d'eau au moulin de ceux qui considèrent qu'il a raté le virage de l'Internet social, et paie le prix de son éloignement de l'innovation et de la créativité. La sonnette d'alarme n'a pas cessé de retentir depuis notamment le dernier trimestre de l'année écoulée sur les limites des choix stratégiques du géant des contenus éditoriaux de l'Internet. La valse des dirigeants enregistrés depuis ces dernières années donnait déjà raison à ceux qui militaient pour une meilleure visibilité stratégique de Yahoo!. En dépit de cela, le scénario continue, et les pronostics sur son devenir vont bon train. «Le conseil d'administration a nommé Timothy Morse directeur général par intérim, avec effet immédiat, en remplacement de Carol Bartz, qui a été remerciée de ses services par le conseil», a annoncé Yahoo ! dans un communiqué, confirmant des informations publiées peu avant par le blog du Wall Street Journal spécialisé dans les technologies, All Things Digital. La directrice a appris son licenciement par téléphone, a-t-elle expliqué dans un e-mail envoyé à l'ensemble des salariés. Fondée en 1995 en Californie par deux étudiants, Yahoo! est une entreprise dont l'histoire s'inscrit parfaitement dans «l'imaginaire Internet» des années 2000 : celui des pionniers et des entrepreneurs, des startups et de la nouvelle économie. Ses deux fondateurs, Jerry Yang et David Filo, sont encore étudiants à l'université de Stanford quand ils créent en 1994 le «Jerry and David's Guide to the World Wide Web», un annuaire («directory») de sites Web organisés en catégories. À la différence des moteurs de recherche, dont les algorithmes indexent le Web de façon automatique (comme le Google PageRank), les liens sont sélectionnés puis ajoutés manuellement. L'idée de Yahoo! est née : un site qui éditorialise les contenus et guide les internautes dans leur navigation sur le Web. En 1995, le guide personnel est rebaptisé et l'entreprise Yahoo! naît officiellement (le nom serait l'acronyme de «YetAnother Hierarchical Officious Oracle»). Sa réputation a largement dépassé l'université de Harvard. La compagnie se lance alors dans une frénésie d'acquisitions et rachète par exemple Geocities (un hébergeur de pages personnelles, fermé depuis) pour 3,6 milliards de dollars et Broadcast.com (une webradio, désormais intégrée au portail) pour 5,7 millions. Le chiffre correspond à… 100 fois le revenu annuel de la compagnie. Nous sommes en 1999 et, comme d'autres startups, Yahoo! participe au gonflement d'une bulle spéculative autour de la nouvelle économie, jusqu'à son éclatement en 2000. Yahoo! est l'un des seuls survivants de la nouvelle économie et en profite pour consolider sa position. En quelques années, l'annuaire des débuts est devenu un groupe de médias sur Internet («an online media company»), un géant mondial du Web, des contenus et des services de communication en ligne. Au début des années 2000, «Web 2.0», «user-generated content» et médias sociaux ne sont encore que de vagues promesses. L'Internet est principalement dominé par des grands portails comme Yahoo! qui répliquent en ligne le modèle économique des médias de masse. L'enjeu ? Attirer l'audience la plus vaste possible et la rentabiliser par de la publicité. Ainsi Yahoo! tire principalement ses revenus de la publicité en ligne, notamment du modèle «display», c'est-à-dire l'affichage de bannières. La rémunération, à l'époque, est plus souvent calculée au CPM, au coût pour mille affichages, qu'au CPC, coût par clic. Sur le papier, Yahoo! a tout pour réussir. Comme Google, le groupe de Sunnyvale offre moteur de recherche, service de cartes géographiques et courrier électronique. Comme Microsoft, la société dispose d'un puissant service de messagerie instantanée. Plus récemment, Yahoo! a pris pied dans les services de géolocalisation mobiles pour contrer Foursquare et s'est posé en alternative à Flipboard en lançant l'application Livestand. Mais dans aucun de ces secteurs, le groupe Internet est numéro un. Pire, Yahoo! est devenu un mauvais imitateur dans un monde de créateurs. L'innovation chez Yahoo! n'est plus technologique mais marketing. Le groupe, emboîtant le pas à AOL, s'est renforcé dans l'éditorial sur Internet. L'idée de Carol Bartz, la directrice générale renvoyée est simple : Yahoo! doit être une destination pour tout internaute, afin de fédérer une large audience et la vendre aux annonceurs. C'est ce qui la pousse à signer un accord de partenariat avec Microsoft en été 2009. Elle transfère le développement technologique au géant du logiciel pour libérer des ressources qui serviront à améliorer le produit visible à l'internaute. C'est un échec : en avril 2011, Carol Bartz annonce la suspension de l'accord. Au passage, Yahoo! a perdu un peu plus de sa vocation technologique sans gagner en poids en tant que média. Car, de l'avis de beaucoup d'analystes, une brique capitale manque à la stratégie de Yahoo! : la couche sociale qui a infiltré tout le Web. Le mandat de Carol Bartz a coïncidé avec l'essor fulgurant de Facebook. Un succès qu'elle a toujours cherché à relativiser en demandant : «Mais quel est donc leur chiffre d'affaires ! ?» Mais la valorisation de Facebook est aujourd'hui plus de quatre fois supérieure à Yahoo!. Ce dernier a fermé plusieurs services communautaires, à l'instar de MyBlogLog et Delicious, et assisté, impuissant, à la montée en puissance de Facebook sur le partage de photos, au détriment de son service Flickr. Pourtant des experts considèrent que Carol Bartz n' a pas été une aussi mauvaise P-DG. L'ancienne P-DG d'Autodesk avait été recrutée pour d'une part stopper la décente aux enfers de Yahoo et d'autre part, pour remettre le groupe sur le chemin de la croissance et de la profitabilité. Pour la première partie de ses objectifs, elle a su prendre des décisions difficiles (mais nécessaires) avec la réorganisation des activités, la fermeture de services et produits (Delicious, Yahoo Buzz, Geocities…), des plans successifs de restructuration et, dernièrement, avec l'établissement d'un partenariat stratégique avec Microsoft. Si chaque aspect est discutable, on pourra reconnaître qu'elle s'est démenée pour tenter de mettre Yahoo sur une voie bien précise. L'ennui, c'est que les résultats de ces actions se font toujours attendre et le conseil d'administration a sanctionné la seconde partie de ses objectifs. Car Yahoo n'a toujours pas restauré sa dynamique d'antan. Pire, ses revenus stagnent avec une diminution continuelle de sa part de marché dans la publicité en ligne, au profit de Facebook et Google notamment. C'est même le business model de Yahoo qui est directement menacé à mesure que l'audience diminue… Third Point LLC, un fonds d'investissement qui détient 5,2% de Yahoo!, estime dans une lettre ouverte que le conseil d'administration est tout aussi responsable de la situation de l'entreprise que l'ancienne directrice générale. Pour certains actionnaires du groupe, le conseil d'administration a failli sur deux points : il n'aurait pas dû refuser l'offre de rachat de Microsoft, en 2008, et il n'a pas su recruter les bons cadres dirigeants pour relancer une entreprise pionnière du Web. «Le conseil d'administration de Yahoo! a pris un certain nombre de décisions qui ont directement nui à l'entreprise, et ont eu pour conséquence la baisse du cours de l'action à un niveau nettement inférieur à sa valeur intrinsèque», écrit Third Point. Roy Bostock, qui dirige le conseil d'administration depuis début 2008, avait refusé la même année l'offre de rachat de Microsoft, qui avait proposé 47,5 milliards de dollars. C'est également lui qui a nommé Carol Bartz comme P-DG, début 2009. Autrefois valorisée à plus de 100 milliards de dollars, Yahoo! a vu la valeur de son action diminuer de moitié depuis l'arrivée de M. Bostock. En fait, le principal défi auquel Carol Bartz n'a pas su trouver de réponse, tout comme ses prédécesseurs, c'est de définir clairement l'activité et le positionnement de Yahoo. Est-ce un portail de contenus ou un fournisseur de services high-tech ? Tant que le staff managérial ne se sera pas penché sur cette question centrale, il y a peu d'espoir que l'avenir de Yahoo! s'améliore… Dans l'immédiat, le conseil d'administration de Yahoo souhaite «remettre l'entreprise sur le chemin d'une robuste croissance et à la pointe de l'innovation» , tandis que les actionnaires poussent de leur côté pour une revente au moins partielle des actifs majeurs de Yahoo!. Reste à savoir qui se portera acquéreur ? Certains avancent le nom de Microsoft… A suivre