Décédé hier à l'âge de 87 ans, il était un de ces intellectuels français qui sauvèrent l'honneur de leur pays durant la guerre de libération. Philosophe de formation, docteur d'Etat en sciences politiques et auteur de nombreux ouvrages, son nom restera lié à la création à partir d'octobre 1957 d'un réseau de militants français. Ils aideront matériellement le FLN et seront connus sous le nom de «porteurs de valises». Ils se chargeront, comme en témoignent Omar Boudaoud et Ali Haroun, responsables de la fédération de France dans leurs mémoires, de mettre à la disposition des militants de faux papiers et des caches. Dès 1955, l'homme qui était dans les rangs de la résistance française en Afrique du nord et participé à la campagne d'Alsace avait cosigné avec sa femme «L'Algérie hors la loi» où ils prennent fait et cause pour le combat des nationalistes algériens dont ils expliquaient les mobiles et la logique. Dans une interview récente (2 juin 2009), publiée sur la toile, il avait affirmé avoir découvert, après un voyage et une tournée en Algérie, «combien les Algériens étaient méprisés par les grands colons et la situation abjecte dans ce pays». Le 5 septembre 1960 alors que s'ouvre un procès des membres du réseau Jeanson, des intellectuels de renom comme Simone de Beauvoir, Sartre, Nathalie Sarraute, Françoise Sagan signent le manifeste des 121. Ils défendaient le droit à l'insoumission des appelés. Les signataires justifiaient également le refus de combattre en Algérie et la désertion de soldats. Ce fut un tournant. «Le procès a été une aubaine, parce qu'il a montré le ridicule des positions françaises officielles, le ridicule d'une attitude qui consistait à tenir les combattants algériens pour des bandits et des hors-la-loi, alors qu'en réalité, ils exigeaient de la France le respect de ses propres lois», dira-t-il plus tard. Ses activités pour la cause algérienne le contraignirent à verser dans la clandestinité. Il publia une revue de propagande «Vérité pour», destinée à expliquer le sens de son engagement. Il s'était vite rendu compte que ni le parti communiste, ni la gauche non communiste ne souhaitaient se départir d'une attitude prudente à l'endroit de la guerre d'Algérie. Lorsqu'il publia «Notre guerre» en juin 1960, Jeanson était devenu la «mauvaise conscience» de la gauche. Malgré son procès et sa condamnation par contumace, pendant l'automne 1960 - le réseau fut démantelé en février 1960 -, Jeanson poursuivit son combat jusqu'à l'indépendance de l'Algérie. «D'âme et de cœur, nous ne pouvions laisser tomber ce peuple car, comme lui, nous étions Algériens», aimait répéter Francis Jeanson dont le nom reste tabou en France où il fut accusé d'être un traître et on ne cessera toute poursuite contre lui qu'après les lois d'amnistie de 1966. Au sujet des crimes coloniaux, il disait ne pas comprendre «qu'on pose aujourd'hui la question de la torture (durant la guerre de libération) sans poser la question de la guerre coloniale. Ce sont deux questions indissociables». «Mais ce n'est pas la responsabilité de la guerre qu'on incrimine», avait-il précisé. «Ce sont les incidences de cette guerre. J'ai d'ailleurs constaté qu'on n'incrimine pas toutes les conséquences de la guerre. Il y avait aussi les viols, les camps de concentration, qui faisaient partie de la guerre au même titre que la torture», avait-il ajouté. Francis Jeanson a écrit plusieurs livres sur la guerre d'Algérie et son engagement, notamment «L'Algérie hors la loi», en collaboration avec Colette Jeanson (1955), «Notre guerre», Editions de Minuit (1960), «La Révolution algérienne», problèmes et perspectives (1962), «Algérie«, Seuil (1991). Il a résumé aussi son parcours et les idées qui le sous-tendaient dans «la foi d'un incroyant»