En tant qu'historien, pouvez-vous nous éclaircir en bref, les raisons des manifestations du 11 décembre 1960 ? Les manifestations du 11 décembre constituaient une première pour les masses algériennes qui étaient descendues dans la rue, pour non pas frapper mais montrer au général De Gaulle d'abord, à l'opinion mondiale ensuite, leur volonté de se libérer et leur plein accord pour la naissance d'une République algérienne. Des témoignages indiquent que ces manifestations étaient une réponse à la politique proposée par le général De Gaulle. Qu'en dites-vous ? Le 11 décembre 1960, les Algériens organisèrent une manifestation pacifique pour réaffirmer le principe de l'autodétermination du peuple algérien contre la politique du général De Gaulle qui a prôné la politique de la « paix des braves » pour récupérer la révolution et isoler les combattants du peuple. Cette politique vise dans sa profondeur le maintien de l'Algérie comme étant une partie de la France dans le cadre de l'idée de l'Algérie algérienne d'une part et contre la position des colons français qui cultivaient le rêve de l'Algérie française. Néanmoins, ayant atteint un degré élevé de maturité et de patriotisme, ces braves manifestants algériens ont su répondre à la politique du général De Gaulle. Celui-ci était justement en visite en Algérie au moment des manifestations. Quelle lecture en faites- vous ? Effectivement, ces manifestations coïncidaient avec la visite du général De Gaulle en Algérie. De Gaulle tenait à évaluer les conséquences possibles de sa politique auprès de la communauté européenne et de l'armée française en Algérie, à travers un voyage de « sondage » qu'il entreprit du 09 au 12 décembre. Cependant, conscients du danger que représente la politique de De Gaulle à leur encontre, des organisations extrémistes qui avaient pris la direction du mouvement insurrectionnel visant au renversement du général De Gaule, ont établi un programme d'actions à cette occasion. Ces derniers ont accueilli le général par des manifestations hostiles à sa politique. Cherchant à provoquer l'intervention de l'armée, les manifestants allaient dans les quartiers algériens pour inciter ces derniers à se joindre à eux. Peu après, les Algériens déferlèrent dans la rue mais, contre toute attente, ont fait des cris hostiles à l'Algérie française. Et c'était le début de la tuerie ! Oui. Les forces de l'ordre sont intervenues en tirant dans la foule. Et, malgré la mort qui les guettait, les manifestants algériens restaient face aux rafales des soldats parachutistes décidés à faire carnage. Les pieds noirs étaient repliés non sans en profiter pour tirer sur les Algériens. Cependant, l'histoire retiendra que les manifestants algériens n'avaient nullement tenté d'attaquer les Européens ni porter atteinte à leurs biens. Durant plusieurs jours, les manifestations se répéteront à Oran, Alger et même à Annaba. On évalue à près de 200 le nombre de victimes. Donc, peut-on dire que les responsables de la révolution étaient loin de la manifestation? Ils n'y étaient pour rien dans la mesure où ces manifestations d'Algériens n'avaient pas été prévisibles. Et puis, le peuple algérien avait déjà acquis le droit à l'autodétermination donc, on ne peut dire qu'il est nécessaire de faire des démonstrations car ceci serait un faux pas pour le processus d'autodétermination. Mais après la tournure des événements, le FLN entra dans le conflit avec une force populaire imposante, brandissant le slogan de « Algérie musulmane indépendante » contre celui des partisans de De Gaulle « Algérie algérienne » ainsi que celui des colons « Algérie française ». Donc, les Algériens profitèrent de la présence du général sur le sol algérien pour dire stop à toutes ses confusions et manœuvres. Les slogans des Algériens étaient unifiés autour de la levée du drapeau national, le Front de libération nationale, le Gouvernement provisoire et Vive l'Algérie. Pour terminer, quel est l'impact des ces manifestations sur le processus de la Révolution? Il y a deux aspects à tirer des événements du 11 décembre. D'abord, les manifestations populaires avaient mis à nu la réalité criminelle et l'horreur du colonialisme français et exprimé l'unité du peuple algérien, son attachement à son identité et sa mobilisation derrière le FLN. Au niveau international, les manifestations populaires avaient démontré un soutien sans réserve au FLN. Ainsi, l'ONU fut convaincue de la nécessité d'inscrire à l'ordre du jour de ses travaux le dossier de la question algérienne en faveur de laquelle la commission politique de l'Assemblée générale a voté, rejetant les arguments français visant à tromper l'opinion publique internationale. Les manifestations eurent également pour conséquence l'élargissement du cercle de soutien au peuple algérien à travers le monde.