Au sortir d'une douloureuse épreuve, imposée par une invasion illégale et illégitime, l'Irak post-Sadam ne semble guère se remettre du chaos confessionnel et de la tentative de balkanisation qui a miné les bases de l'Etat national en ligne de mire. Inscrit dans les fondements du projet impérial, le nouvel ordre interne à dominante chiite suscite les plus vives tensions qui pèsent lourdement sur le devenir d'un pays appelé à réussir la gageure de la stabilité et de la paix civile. Outre les querelles intestines d'un mouvement hétéroclite, largement exprimées par la fronde sadriste, et les appréhensions nées des répercussions sur l'équilibre régional, la revanche des « frères-ennemis » fait craindre le pire. Le spectre de la guerre civile revient en surface à la faveur des législatives du 7 mars, marquées par l'approfondissement des fractures communautaires et la politique d'exclusion des sunnites du jeu politique. Pas moins de 500 candidats (sur les 6.500) ont été rayés de la liste électorale. Parmi eux figurent des personnalités influentes, à l'image du ministre de la Défense, Abelkader Jassem Obeidi, et le virulent opposant, Saleh-el-Motlak, qui ont pourtant pleinement contribué à la rédaction de la cConstitition de 2003 et 2004. Les législatives de la dernière chance participent au climat de méfiance et de l'intolérance. La décision discriminatoire, frappée d'ostracisme, est lourde de conséquences, selon l'analyste Reidar Visser qui estime qu'elle « est dangereusement proche d'une répétition de l'atmosphère électrique sur les plans politique et communautaire dont nous avons été témoins lors des élections de 2005 ». Cette perception est confortée par le chef de programme pour le Moyen-Orient du groupe de réflexion International Crisis Group (ICG), Joost Hiltermann, qui insiste sur le fait que « ceci montre que les groupes politiques sont loin de s'entendre, encore moins de se réconcilier. Si cette décision n'est pas annulée, il se peut que nous assistions à une nouvelle et dangereuse escalade de la violence ». Tout serait-il donc à refaire ? Le boycott sunnite imposé est de nature à relancer la guerre communautaro-confesionnelle, en portant à l'évidence un coup mortel à la lutte anti-insurrectionnelle victorieuse en raison de l'intégration et de la participation active des sunnites. Le sentiment d'injustice et de colère des tribus de Salahedine et d'El-Anbar, considérées comme des bastions imprenables, anime une communauté révoltée par le caractère irréfléchi, injustifié et illégal de la décision d'exclusion prise a fortiori par une instance non-élue et dirigée par un député de la tendance minoritaire sadriste. Du coup, le processus de normalisation et de réconciliation irakienne vole en éclats au moment où l'espoir de réhabilitation et de restauration de la souveraineté nationale se pose avec acuité et en urgence absolue. Demain, le retour annoncé des G'Is sera-t-il le fait de la discorde irakienne et du rendez-vous du monumental ratage aux conséquences inimaginables sur le destin d'un pays qui a lourdement souffert de l'ère honnie d'occupation et de divisions artificiellement entretenues ? Une alternative se dessine avec l'avènement d'une large coalition laïque, emmenée par l'ancien Premier ministre chiite Iyad Allaoui et regroupant les Irakiens de toutes les communautés dont le vice-président et le vice premier-ministre d'obédience sunnite, respectivement El Hachemi et Rafaâ El Issaoui. Elle se propose d'œuvrer à l'émergence d'une « ère de tolérance et de cœxistence où la priorité sera donnée à l'intérêt national sur toute autre considération». Une profession de foi : l'instauration d'un «Etat des citoyens» en substitution à «l'Etat des communautés».