L'épreuve démocratique ne réussit pas à un pays qui, outre les effets de l'invasion désastreuse, est miné par les querelles confessionnelles et communautaires. Au borde du chaos, l'Irak s'enfonce dans une crise politique aiguë clairement exprimée par la vacance prolongée du pouvoir et le déficit de légitimité démocratique incarné par le refus du Premier ministre sortant de reconnaître la sanction électorale. Depuis la proclamation des résultats de la consultation populaire du 7 mars, les procédés manœuvriers visent un renversement de tendance pour garantir la conservation du pouvoir aux mains des chiites hégémoniques, ralliés, comme c'est le cas de l'irréductible Moktada Sadr (39 sièges sur les 325), aux ambitions de son «frère ennemi», ou contractant l'union sacrée des deux listes chiites (AED et ANI) à travers l'accord du 4 mai. Battu sur le fil, le Premier ministre sortant, Nouri El Maliki, ne désespère pas de détrôner le vainqueur, Iyad El Allaoui, soutenu par les sunnites. Tous les moyens sont bons : la remise en cause en vain du décompte final dans la province de Baghdad, forte de ses 70 sièges, rejetée par la commission électorale et relayée par la demande d'invalidation du mandat de 9 députés (dont 7 sont du bloc irakien acquis à Iyad) victimes de la chasse au sorcière qui sévit contre les éléments du Baath. La bataille de leadership bat son plein. Aux fractures indéniables, nées du démantèlement de l'Etat national, se greffent la lutte pour la satisfaction des ambitions de pouvoir et les enjeux portant sur le devenir de l'Irak post-Sadam. Cette évolution suscite les pores inquiétudes clairement affirmées par un Allaoui frustré de sa victoire incontestable. Au journal espagnol El Mundo, il a déclaré que «tout semble indiquer que nous nous dirigeons vers une escalade de la violence. » La menace, bien qu'à ses débuts, est annonciatrice de la guerre civile. Elle n'en est pas prise au sérieux par Ryad. Pour l'ancien patron des renseignements, Turki el Fayçal, clamant son refus de l'«usurpation » des résultats électoraux et du déni démocratique, «nous avons plus de violences et une guerre civile potentielle». Ce qui laisse croire à l'éventualité d'un «conflit régional d'une ampleur inégalée», aiguisé par les luttes intestines et les convoitises des puissances régionales. A une année du retrait définitive des troupes américaines, le syndrome de la guerre civile plane sur le «nouvel Irak» exsangue et livré aux vieux démons du confessionnalisme et de l'ethnicisme ravageur. Le drame irakien est la source intarissable du terrorisme international religitimé et remis sur selle. Plus de 100 morts et 60 attentats ont affecté l'Irak des élections ratées. L'ombre d'El Qaïda qui se remet de la mort de ses deux principaux chefs, lors de l'opération combinée irako-américaine effectuée le 18 avril, se restructure et se prépare à une campagne sanglante. La prise en main par le nouvel émir, Abou Bakr El Baghdadi, et son «Premier ministre» Hussein El Kurachi, signe un si triste épilogue à une expédition néo-coloniale non moins sanguinaire et barbare. L'empire de la terreur planétaire et sa création artificielle à visage islamiste : un combat chaotique pour une même finalité stratégique. Au bout, le chaos et rien que le chaos.