Photo : Mahdi I. Depuis 1996, chaque année, le 28 avril est célébré dans le monde du travail particulièrement par le mouvement syndical en rendant hommage aux victimes des accidents et des maladies professionnels. C'est en 2003 que le bureau international du travail a décidé d'observer une «Journée mondiale pour la sécurité et la santé au travail» en mettant l'accent sur la prévention et la promotion de la culture de la sécurité et de la santé au travail. L'Organisation internationale du travail estime que toutes les 15 secondes 160 travailleurs sont victimes d'un accident du travail et l'un d'entre eux en meurt. En une journée, le nombre s'élève donc à 1 million d'accidentés et à 5500 décès ! Plus de deux millions de personnes meurent, chaque année, à cause d'accidents du travail ou de maladies professionnelles. On dénombre au minimum 270 millions d'accidents du travail et 160 millions de cas de maladies professionnelles. Cependant, le degré de sécurité au travail varie selon les pays, les branches d'activité et les groupes sociaux. Le nombre de morts et de blessés est particulièrement élevé dans les pays en développement où beaucoup de personnes travaillent dans des secteurs dangereux comme le bâtiment, la pêche, les mines, l'agriculture, l'exploitation forestière... Si dans certains métiers les accidents de travail sont minimes ou sans danger, d'autres, par contre, représentent un risque permanent pour la sécurité des ouvriers. Bien évidemment, c'est dans le secteur du bâtiment qu'on s'expose le plus. Chaque année, ils sont des centaines à mourir ou se blesser dans tous les chantiers, mais que faire alors pour freiner ce genre d'accidents ? La loi suffit-elle pour protéger les ouvriers et peut-on diminuer ces drames ? Les progrès il y en a, mais sur le terrain il reste beaucoup de choses à revoir. Mardi 20 janvier 2010, la presse avait annoncé dans un petit billet, un fait divers informant qu'un «homme de 55 ans a trouvé la mort après un accident de travail. Le malheureux qui bricolait au 3ème étage d'une habitation à la cité Ennassim (Constantine) aurait été foudroyé par une décharge électrique», peut-on lire. L'histoire malheureusement paraîtra banale pour beaucoup de gens du fait que les accidents de travail sont de plus en plus fréquents. Dans la ville des ponts comme ailleurs, les chantiers sont un peu partout et les ouvriers se comptent par centaines. Les promoteurs construisent des quartiers entiers, les entreprises publiques de maintenance retapent ici et là, les grosses compagnies mènent d'arrache-pied les chantiers du tramway, du pont géant, des hôtels et des bâtiments administratifs. Dans l'ensemble, il est vrai qu'après les nouvelles dispositions en matière de sécurité, les gros chantiers fonctionnent visiblement aux normes. Généralement, on est très stricte en matière de sécurité : casques, tenues de service, outillage conforme, présence d'un chef d'atelier, heures réglementaires, tout est organisé et surveillé pour garantir la sécurité des travailleurs. C'est en tout cas ce que nous révèle Houssem qui travaille au département des ressources humaines au sein d'une grande entreprise de travaux publics : «A ma connaissance en deux années nous n'avons enregistré que deux décès mais, en moyenne, chaque mois nous recevons une dizaine de blessés plus ou moins graves. Il faut dire aussi que les ouvriers ne respectent pas souvent les consignes. Par exemple : nous avons découvert qu'ils revendaient leurs équipements comme les gants ou les chaussettes adaptés que l'entreprise me charge de renouveler chaque semestre». Pour sa part, Mohamed, chef de chantier d'une promotion immobilière à la nouvelle ville Ali Mendjeli, reconnaît que les choses ont changé : «C'est certain que par rapport aux années précédentes, il y a eu une amélioration. Déjà les ouvriers doivent fournir des CV et avoir au minimum quelques années de service dans les chantiers. Pour les jeunes, ils sont embauchés dans le cadre du pré-emloi, mais ils sont des apprentis, ils ne restent jamais seuls il y a toujours un adulte pour les encadrer. Pour le reste, je dirai qu'il y a de moins en moins d'accidents. Même si les chiffres disent le contraire, il faut savoir que les chantiers se sont multipliés ces dernières années, ils sont partout, et c'est normal que de temps à autre il y a des drames, c'est comme ça» explique-t-il et d'ajouter. «Je suis dans le métier depuis 24 ans et je me rappelle qu'avant, personne ne se souciait de la sécurité des ouvriers. Lorsqu'un accident se produisait, on se contentait de dédommager la famille, alors que maintenant vous risquez des poursuites judiciaires si vous n'avez pas respecté les consignes de sécurité». LES CONSIGNES DE SÉCURITÉ PAS TOUJOURS RESPECTÉES Mohamed se souvient du dernier accident grave dont il était témoin. Cela remonte à un an, dans un chantier aux alentours de la commune d'Ain Smara où un jeune de 32 ans y perdit la vie : «Comme c'est souvent le cas, certaines personnes ne vous écoutent pas, elles prennent des risques énormes. Ce jour là tout allait bien, il nous restait qu'une ou deux heures de travail, lorsque le jeune Fethi a pris le risque d'escalader sans consignes de sécurité l'échafaudage. Il est tombé, puis voilà il est mort sur le coup». Malgré sa bonne volonté et sa sympathique collaboration, le chef de chantier refusa, cependant, qu'on ait l'avis des ouvriers : «Pas question, il faut qu'ils travaillent» nous a-t-il lancé. Plus loin dans un coin plus désert, dans cette nouvelle ville où rien ne pousse sauf les constructions, on perçoit de nouveaux bâtiments, beaucoup de poussière, de gros camions, de grandes grues, ce qui nous laisse présager qu'il s'agit d'un grand chantier. On s'approche de plus près et on remarque un grand portail avec des inscriptions en lettres chinoises. En fait, c'est de l'immense université qu'il s'agit. Dès l'entrée, un gardien à qui nous nous présentons, nous prie de quitter les lieux, un responsable le rejoint «De quoi s'agit-il ? La presse? Qu'est ce que vous voulez? Les accidents du travail … il vous faut une autorisation». C'est tout. Impossible de demander plus, les ouvriers Chinois perchés sur les toits en cette chaleur inhabituelle, nous saluent de la main. Nous sortons et traversons la route accidentée, après quelques minutes sur le bas de côté nous faisons la rencontre d'un groupe de jeunes, ils sont cinq et portent des habits usés «Vous êtes maçons ?» «Oui» répondent-ils. Ils coopèrent sans peine avec nous : «Nous travaillons dans un chantier près de l'Université. Je crois que c'est un bloc administratif. Cela fait quelques mois, que nous sommes ici. Nous venons tous de Mila. Là-bas il n'y a pas de chantiers comme à Constantine». Evoquant leurs conditions de travail, ils sont mitigés mais admettent tout de même que leur nouvelle situation est nettement meilleure : «Cela fait quatre ans que je fais ce métier et j'ai connu pire. Ici, au moins on est assuré et bien nourri. On travaille huit à dix heures par jour pas plus, et pour tout vous dire on ne se fatigue pas trop. Je crois que cela est dû au fait que le projet est étatique, le promoteur est régulièrement contrôlé. Avant, j'étais maçon chez le privé et il faut dire que c'était très pénible. En plus du salaire misérable, on restait plus de douze heures par jour, on se faisait vraiment exploiter. Et question sécurité comme vous dites ce n'était pas mieux. J'ai un ami qui a perdu l'usage de sa main droite, il ne peut plus travailler. J'ai aussi assisté à un drame, dans lequel un homme a trouvé la mort dans l'accomplissement de son travail. Personnellement, j'évite de bosser chez les promoteurs privés, ils sont arrogants et sans pitié avec nous. Le pire est que lorsque les moyens leur manquent, ces promoteurs n'hésitent pas à remplacer les machines par la main d'œuvre, et c'est pourquoi il y a tant d'accidents ». Son ami, nous conseille, pour sa part, d'aller enquêter sur les petits chantiers : «Ici nous sommes assurés et nous gagnons bien notre vie. Allez donc voir dans les villas par exemple et vous verrez comment ils exploitent les petits maçons». Sur le plateau d'Ain Bey où les villas se multiplient tranquillement, parfois sans permis de construire, nous avons eu toute la peine du monde pour décrocher une petite entrevue avec des maçons. Le seul à avoir accepté de témoigner est paradoxalement un propriétaire d'une habitation de trois étages. «Je sais qu'il y a de nombreux accidents de travail. Mais pour ma part c'est la deuxième maison que je construis et je n'ai, jusqu'à présent, jamais eu de problème. C'est le chef de chantier et mon frère qui s'occupent des ouvriers, ils ne sont pas assurés mais je vous assure que ça ne les dérange pas trop. Ils travaillent, c'est l'essentiel. J'ai un cousin qui a eu un problème avec ses ouvriers, après qu'un travailleur s'est sérieusement blessé dans un accident. Ils ont voulu le dénoncer à la police mais il leur a offert une prime pour garder le silence. C'est comme ça». C'est comme ça donc, les petits chantiers où travaillent des petits groupes de maçons sont sans doute les plus exposés, les ouvriers ne sont généralement pas assurés, sous-payés et même, nous dit-on, les petits accidents ne sont jamais signalés.