M. Abbès Aïssi, expert comptable, diplômé d'Etat, commissaire aux comptes agréé par le ministère des Finances, inscrit au tableau de l'Ordre des experts comptables, revient, dans cet entretien, sur les «zones d'ombre» que renferme le projet de loi relatif aux professions d'expert comptable, de commissaire aux comptes et de comptable agréé. Projet devant être soumis incessamment à l'Assemblée populaire nationale. Son expérience très riche en la matière lui a permis de décortiquer au détail près ce texte tant attendu par cette corporation, pour qui «compter» signifie tout simplement «responsabilité». A titre explicatif, cet expert comptable fait savoir que ladite profession était régie d'abord par l'ordonnance 71-82 du 29 décembre 1971 qui répondait, selon lui, aux exigences de l'époque. Le domaine comptait uniquement quelques dizaines d'experts comptables. La plupart d'entre eux exerçaient au sein des grandes entreprises publiques à l'exemple de Sonatrach. Hélas, faute de motivations, ils seront tous contraints, atteste-t-il, de quitter le pays pour travailler pour le compte de firmes étrangères. La majorité a rejoint des sociétés pétrolières, en France, aux USA, au Moyen-Orient et autres. Interviendra, 20 ans après, la loi 91-08 relative à la profession d'expert comptable, de commissaire aux comptes et de comptable agréé. Elle constituera ainsi la première réforme de ce secteur à multiple facettes. Celle-ci instaurera pour la première l'ordre des experts comptables. Ce qui lèvera ainsi la mainmise du ministère des Finances sur la profession. LA FORMATION DES EXPERTS COMPTABLES, LE HIC ! S'agissant de la nouvelle loi non encore adoptée par la chambre basse, M. Aïssi estime que son élaboration doit se faire dans un souci de « consacrer davantage le contrôle de l'Etat, la sécurisation de l'économie nationale et de ce fait la protection des biens publics ». Le texte se doit de porter le niveau des professionnels du secteur aux standards internationaux que ce soit sur le plan technique ou de la formation. Ainsi, l'Algérie est en train de mettre en place ce nouveau système comptable et financier en tenant compte des normes internationales (IFRS), exigeant, souligne-t-il, la mise en place des nouvelles normes d'audit. La question qu'il se pose cependant : est-ce que nos professionnelles de ce domaine sont à la hauteur du défi ? Sont-ils conformes aux normes internationales ? D'après notre interlocuteur ce projet dont il a eu une copie doit en premier procéder à la formation d'une élite de comptables dans un contexte de normalisation. Mais, qui est habilité à assurer cette formation de haut niveau ? s'interroge-t-il encore. De ce fait, M. Aïssi est catégorique. Il est primordial d'assainir cette profession. Mission devant incomber, selon lui, au conseil national de la comptabilité stipulé dans ce projet et, qui, à son tour, doit couvrir les trois nouvelles instances qui seront créées, en l'occurrence un ordre des experts comptables, une chambre nationale des commissaires aux comptes et une organisation nationale des comptables agréés. SEULEMENT DEUX SESSIONS D'EXAMENS DEPUIS 1991 Ce qui intrigue M. Aïssi est le chiffre de 800 experts comptables que compte la corporation, comme indiqué dans l'exposé des motifs de ladite loi, alors qu'en 1991, argue-t-il, ce chiffre ne dépassait pas 462 experts comptables. Pour appuyer ses dires, il affirme que depuis 1991, seulement deux sessions d'examen pour passer à l'expertise comptable ont eu lieu. Comment ces gens ont-ils pu devenir experts comptables sans subir des épreuves d'aptitudes ? Dans quelles conditions ont été délivrées les autorisations pour engager ce domaine, synonyme de contrôle de l'économie nationale ? Selon lui, la facilitation de l'octroi des agréments aux experts comptables explique le « bas » niveau de nos professionnels comparé à nos voisins Tunisiens, Marocains et Français. « Dans tous les pays du monde, nul ne peut exercer cette profession s'il n'est pas titulaire d'un diplôme d'expert comptable. Ce qui est appliqué pratiquement par tous les schémas internationaux utilisés comme référence. L'Algérie, exposée aujourd'hui à tous les risques économiques et financiers, se doit de se bâtir un solide bouclier pour faire face à toutes les atteintes. La modernisation de la comptabilité est l'une des priorités qu'il faut consacrer dans un avenir très proche, besoin de contrôle oblige. M. Aïssi, rappelant les scandales financiers ayant éclaté ces 10 dernières années, considère que la corporation a une lourde responsabilité à porter. Ces problèmes sont la résultante « des défaillances enregistrées dans les systèmes d'organisation des entreprises, mais aussi de l'incapacité des professionnels de ce domaine à appréhender les difficultés, étant mal préparés ou mal formés à faire face à toutes les éventualités. Ce qui a contribué, selon lui, à la propagation de ce genre de « dépassements financiers ». Dans le même contexte, M. Aïssi revient sur l'article 76 de ce projet de loi, indiquant que les cabinets des experts comptables se doivent de prendre en charge les stagiaires pour les former ou sinon des sanctions leur seront prescrites. Cette question pose le problème des conditions de formation, le niveau de formation des comptables autorisés à exercer et la rémunération qui est obligatoire d'après le texte. « Ne faut-il pas réfléchir sur des normes appropriées pour une bonne formation ? », s'interroge-t-il, avant de passer à l'article 79 qui stipule que tous les gens inscrits à l'Ordre des comptables seront enregistrés d'office comme experts comptables. Ce qui signifie, explique-t-il, qu'il ne va pas y avoir d'assainissement du secteur, contenant des professionnels déjà partis sur des bases critiques. C'est la politique du fait accompli, se désole-t-il. «L'ARTICLE 36, UN RECUL» Pour ce qui est de l'article 36, relatif aux honoraires des commissaires aux comptes, la loi indique qu'ils seront fixés par l'assemblée générale. Ce que M. Aïssi qualifie de « recul » par rapport à la loi de 1991 qui prévoit un barème indicatif à ne pas transgresser. « Cela ouvre la voie à la corruption et à des dépassements puisque les tarifs seront fixés au gré des personnes notamment pour le cas des sociétés étrangères pouvant aisément devenir objet à des fuites de capitaux. Cette mesure ne protége ni l'entreprise ni l'économie nationale », déclare-t-il. Pour ce qui est de l'article 12, M. Aïssi se dit tout à fait contre l'intervention des experts judiciaires, dont le niveau est peu reluisant, devant avoir pour mission de se prononcer sur des affaires sensibles. Le pire, c'est sur la base de leurs rapports que la justice va se prononcer. Il suffit de prêter serment pour devenir expert judiciaire. Passant à l'article 45, autorisant des cabinets étrangers à s'installer en Algérie sous forme de société commerciale, cela suscite, selon lui, le problème de la crédibilité du contrôle, si l'ont sait que les autorités algériennes ne sont pas informées sur leurs actions. Avec l'existence de ces cabinets étrangers, le contrôle peut échapper à l'Etat et peut devenir une source pour glaner des profits. Notre interlocuteur pose aussi la question du diplôme algérien de l'expertise comptable non reconnu en France et dans plusieurs pays, alors que leurs diplômes sont admis et reconnus ici. M. Aïssi plaide de ce fait pour des mesures de « réciprocité ». Pour ce qui est de l'article 17, notre interlocuteur estime qu'il faut retenir uniquement la forme civile. M. Aïssi conclut par une anecdote : « faut-il soigner un enfant malade chez un médecin diplômé qui a acquis une formation diplomante sous contrôle des professionnels ou aller voir des infirmières et leur demander de faire une intervention chirurgicale ? » Allusion à l'importance de la formation dans tous les domaines.