Génies n Au Hoggar où se déroule le conte que nous rapportons, les démons sont appelés les kel-esouf, «les gens du désert. Quand ceux qui ne connaissent pas le Sahara en parlent, ils disent que c'est la région la plus désolée du monde. «On n'y trouve, disent-ils, que du sable… des immensités de sable…» S'il est vrai que le Sahara paraît désolée, il ne l'est qu'en apparence. Sous les immenses étendues de sable, en effet, il y a des dizaines, des centaines, des milliers de bêtes, d'insectes, de larves, de serpents et d'autres animaux qui vivent. Il y a aussi toutes sortes de plantes qui, au cours des millénaires, se sont adaptées à la vie du désert. Côté population, il est vrai que le Sahara n'est pas très peuplée, mais on trouve des hommes dans les endroits les plus désolés… Mais en plus de tous ces êtres, animaux, plantes, il y a d'autres êtres, certes fantastiques, mais qui, pour les Sahariens, n'ont pas moins d'existences réelles : les djinns, les fantômes et les ogres… Quand quelqu'un voyage, on ne manque pas de lui faire cette recommandation : «Faites attention à eux, avertit-on, les imprudents. Ils surgissent à l'improviste, au détour d'une dune de sable ou d'un palmier, et s'emparent de vous !» Les histoires des voyageurs, emportés par des génies ne manquent pas. Les génies surgissent au moment où on s'y attend le moins. Au Hoggar où se déroule le conte que nous rapportons, les démons sont appelés les kel-esouf, «les gens du désert». Il s'agit d'un euphémisme pour ne pas dire leur nom véritable car on croit, comme dans beaucoup d'autres régions d'Algérie, que prononcer le nom des génies peut les faire venir. Ainsi, dans beaucoup de régions, les génies sont appelées mselmin (dans les régions berbérophones, inselmen), c'est-à-dire «les musulmans» pour ne pas les irriter. En Kabylie, on les appelle parfois imerbuhen, «les bénis». En tout cas, tous les noms qu'on leur donne sont des noms de bon augure… Si tout le désert ne peut être hanté par les génies, on redoute certains endroits, parce que des événements dramatiques s'y sont déroulés. C'est le cas du lieu dit Tayenhart, dans l'Atakor, où, en décembre 1875, s'était déroulée une bataille entre deux tribus touareg rivales, les Kel-ahaggar et les Kel-ajjer. La bataille s'était soldée par plusieurs morts, près d'une cinquantaine. Après la bataille, chaque partie a enterré ses morts, sur le champ de bataille même, et depuis, on rapporte que, la nuit, on entend les cris et les gémissements des suppliciés. Les voyageurs évitent de passer par cet endroit et ceux qui y sont surpris la nuit, deviennent fous. On évite aussi les lieux où ont été commis des crimes, car les génies sont attirés par le sang ainsi que par l'âme des victimes qui ne cessent de réclamer vengeance… Les génies prennent souvent des formes humaines pour tromper les voyageurs. C'est le cas de Djelwan, un génie femelle qui attire les voyageurs isolés et les dévore. On dit que ce n'est qu'au moment d'attaquer sa victime qu'elle reprend sa forme initiale. C'est un monstre pourvu de cent bouches ! «La bouche qui ne parvient pas à happer la victime, l'autre le fait !» Et des hommes ont prétendu avoir rencontré le monstre. Il est vrai qu'ils sont peu nombreux à faire ce genre de récit, car on n'échappe pas facilement à Djelwan, le génie aux cent bouches, «si l'une ne réussit pas à avaler, l'autre le fait !» (à suivre ...)