Les mêmes visages Réalité n La préoccupation majeure de nombreuses personnes, vivant loin de leurs familles, c'est de trouver un restaurant du cœur. L'après-midi de ce lundi, dernier virage du mois d'août et dixième jour du ramadan, est un peu chaud. Le mercure oscille entre 30 et 33°C et l'humidité à Alger rend l'air irrespirable. A 14 heures, comme à l'accoutumée, les rues principales de la capitale grouillent de monde. Une image ordinaire en ce mois de ramadan. Les gens vont et viennent vaquant à leurs occupations quotidiennes. A la rue Larbi-Ben-M'hidi, les commerçants ne manquent pas de clients. «Le mois de ramadan, je crois que c'est la période où l'argent perd presque toute sa valeur. Tous les après-midi, je dois sortir pour acheter quelque chose même si je sais que je n'en ai pratiquement pas besoin. C'est plus fort que moi ! La tradition veut que la table de f'tour soit couverte de nourriture en abondance», estime un septuagénaire. «Les clients se ruent ici pour acheter des brioches de tout genre, des petits-fours, du pain mais surtout du kalbelouz», précise le caissier d'une boulangerie de la rue de Tanger dont les employés excellent dans la fabrication du pain sous différentes formes. Juste à côté, une petite file s'est formée à l'entrée d'une boutique minuscule. «C'est pour acheter du metlouâ», me dit un jeune homme tenant un sac. La rue de Tanger est prise d'assaut. Les boutiques de fruits et légumes ne désemplissent pas, pourtant les prix affichés donnent froid dans le dos. «Mais que veux-tu faire ? Rentrer à la maison le couffin vide ? Nous n'avons pas le choix mon frère», rétorque Halim la trentaine pour qui la flambée des prix des légumes n'a rien d'une fatalité. «Ils (les commerçants) profitent de la misère des citoyens et de l'absence de l'Etat pour s'enrichir durant ce mois sacré», tonne-t-il encore, sous le regard plutôt désespéré d'autres clients. Le commerçant, derrière son étal, ne prête même pas attention à cette discussion. Il est exactement 17h et l'appel à la rupture du jeûne est encore loin. Retour à la rue Larbi-Ben-M'hidi. Les trottoirs sont encore bondés. Ce moment coïncide avec la sortie des bureaux et les pères de famille n'ont pas beaucoup de temps pour faire leurs emplettes. Cependant, à y voir de près, il y a des personnes qui circulent pratiquement sans aucun but précis, d'autres s'assoient sur les bancs et les entrées d'immeubles. Ils semblent là depuis très longtemps. Ne sont-ils pas concernés par les achats ? Sont-ils perdus dans cet immense boulevard ? Approché, un homme, la quarantaine, donne une raison à son attente. «Depuis le début du ramadan, je viens ici pour me reposer et attendre mes amis afin de décider de l'endroit où nous allons manger», explique Rabah tout en montrant des personnes qui sont ici pour les mêmes raisons. Tout près du bâtiment où Rabah est adossé depuis maintenant une dizaine de minutes, une imposante banderole faisant face à la grande rue annonce un restaurant du cœur, aménagé entre deux immeubles. Il est 17h 30. La porte s'ouvre déjà pour les premiers arrivés dont la plupart sont des femmes et des enfants en bas âge. Une fois assis, le personnel leur sert rapidement leur repas pour éviter les débordements. Au fur et à mesure que le temps passe, des personnes arrivent. «Pratiquement ce sont les mêmes visages que je revois chaque jour», nous dit un serveur. A 18h pile, les derniers arrivés prennent place et le restaurant referme la porte qu'il venait d'ouvrir depuis à peine une heure.