Souvenirs n Les nouvelles générations ne le savent sans doute pas, mais il fut un temps où le yaourt était un véritable luxe. «On en rêvait alors qu'on était petits », témoigne Djamel qui avait 11 ans au début des années 1980, époque durant laquelle le phénomène de la pénurie des denrées alimentaires avait fait son apparition. Pour cet employé d'une agence de communication implantée à Alger-Centre, il n'y a pas que le yaourt qui manquait : «A vrai dire, tous les produits faisaient défaut. Je me souviens que les pommes de terre, les œufs, le sucre et le café étaient particulièrement demandés car pratiquement inexistants sur le marché.» «On prenait d'assaut les Aswak el-fellah et les Galeries algériennes dès qu'on annonçait que l'un de ces produits allait être distribué», poursuit-il non sans faire remarquer que les enfants d'alors «grandissaient avec d'interminables queues et passaient leurs vacances dans les aswak el-fellah». «Personnellement, j'habitais à Chevalley et il m'arrivait très souvent de me déplacer au quartier Bazetta, dans la commune de Bab El-Oued, à Châteauneuf ou encore à Chéraga dans l'espoir d'y trouver du sucre ou de l'huile de table», note encore Djamel qui garde toujours en mémoire des images de ces bousculades devant les Aswak el-fellah. «Une fois, raconte-t-il, je suis allé à la grande surface de Châteauneuf où j'ai trouvé un monde fou. Il était 14 heures lorsque les portes du souk el-fellah ont été rouvertes. Comme il y avait de l'huile sur le sol, ceux qui étaient aux premiers rangs ont glissé avant de tomber presque en même temps». Et son collègue Khaled, la quarantaine, de relever que les places devant les grandes surfaces se vendaient. «A l'époque, j'habitais à Hussein-Dey dans un immeuble qui abritait un monoprix et je me souviens que les jeunes du quartier se levaient tôt pour faire la queue puis proposaient à la vente leurs places. Les prix étaient fixés en fonction de la demande. Des files d'attente longues de 40 ou 50 mètres s'y formaient en permanence et il fallait l'intervention de la police à chaque fois pour rétablir l'ordre étant donné que des bagarres éclataient tout le temps.» De son côté, Djamila, la soixantaine, qui a longtemps travaillé dans la presse publique, se rappelle encore l'engouement des Algériens pour les œufs et les pommes de terre : «Ces produits étaient vraiment prisés pour la simple et bonne raison qu'ils n'étaient pas disponibles. Heureusement qu'au boulot, on nous les distribuait régulièrement. C'était un privilège que beaucoup n'avaient pas.» Mais le produit qui attirait le plus de clientèle était, sans conteste, les bananes. Selon elle : «Une fois, ils ont ramené des bananes toutes vertes. N'empêche, elles se sont vendues comme des petits pains. Pour qu'elles mûrissent, on a dû les mettre sous les couvertures !»