InfoSoir : Les conditions précaires de vie sont-elles les causes du suicide en Algérie ? Le Pr Taleb : Beaucoup affirment que l?Algérie traverse une crise politique, économique et sociale, ce qui augmente inévitablement le taux des suicides. Ce n?est pas évident, car les études effectuées outre-mer ont démontré que même dans les pays développés, le taux des suicides augmente. Donc, il n?y a pas un lien direct entre la misère sociale et le suicide. La science confirme aujourd?hui qu?il y a des facteurs psychiatriques, environnementaux, sociaux et même biologiques. Comment expliquez-vous l?absence de statistiques fiables sur un phénomène aussi important ? Ce n?est pas facile. Il y a la question des tabous qui surgit toujours, ce n?est pas propre à l?Algérie, seulement 53 pays étrangers disposent de statistiques fiables sur le suicide. Il faut que les décideurs politiques agissent s?ils veulent mener une véritable politique de prévention et briser les tabous. En effet, il est impératif d?évaluer les réalités du problème pour pouvoir dégager une politique nationale de prise en charge. D?ailleurs, nous pensons qu?en Algérie, les suicides sont la conséquence de problèmes psychiatriques. Ces études peuvent-elles réellement quantifier un phénomène aussi complexe ? Oui. Grâce aux enquêtes effectuées, nous savons, par exemple, que dans les pays de l?Europe de l?Est, l?alcoolisme est un facteur de risque important dans les conduites suicidaires. D?autres études prouvent également que les troubles mentaux poussent au suicide, en premier lieu la dépression. De 50 à 70% des suicides ont un rapport avec les troubles de l?humeur (les états dépressifs). Les recherches révèlent, par ailleurs, que 15% des personnes qui présentent un état dépressif caractérisé se suicident. Le suicide n?est pas une maladie, mais une conduite, une manière de répondre à des situations diverses. Où en est la recherche actuelle ? Actuellement, nous savons qu?il y a une génétique du suicide, c?est-à-dire une vulnérabilité génétique dans certaines familles. Cela ne veut pas dire qu?il est héréditaire, mais c?est un terrain à explorer. A titre d?exemple, il y a quelques jours, j?ai hospitalisé en urgence en France une patiente qui a attenté à sa vie. Alors que son arrière grand-père, son père, son oncle et ses deux frères se sont suicidés. Sa s?ur a été suivie pour une dépression. L?Algérie possède-t-elle les moyens d?assurer la prise en charge des suicidaires ? Des structures sanitaires spécifiques, à mon avis non. Même ailleurs, ils n?existent pas. Là n?est pas le problème, les suicidaires peuvent-être traités dans le cadre des dispositions sanitaires déjà installées. En France, une politique nationale a été élaborée, elle englobe plusieurs volets, notamment le volet préventif, celui de repérer les personnes susceptibles de se suicider. Et le volet thérapeutique, qui concerne la prévention secondaire pour empêcher toute autre tentative, car 40% des suicidaires récidivent en moins d?un an. Des structures régionales ont également été mises en place, elles sont chapeautées par des intervenants spéciaux et bénéficient d?une chaîne de formation. Il y a aussi les centres d?écoute, les numéros verts et les campagnes de sensibilisation. En France, c?est un fléau, car on enregistre 15 000 cas de suicide et 130 000 tentatives annuellement, ce qui est énorme. C?est la deuxième cause de décès chez les jeunes entre 15 et 24 ans après les accidents de la route.