Paradoxe n Tout semble, en effet, s'être passé comme si les émeutes avaient engagé les sujets dans une « aventure collective ». Les spécialistes qui se sont intéressés à la question, ont relevé que durant la période 2000 à 2003, la wilaya de Tizi Ouzou a enregistré une baisse sensible des cas de suicide. En effet, selon les chiffres qui nous ont été communiqués par les services de sécurité, il y a eu 93 cas de suicide en 2000, 71 cas en 2001, 53 en 2002 et 43 cas en 2003. «La révolte contre la communauté s'exprime parfois par des manifestations de violence collective, à l'instar des émeutes et autres explosions qui éclatent ici ou là à travers tout le pays. Ces explosions de violence sont une forme de réponse collective à la détresse de l'individu quand la collectivité se reconnaît dans la détresse de chacun. Les émeutes du «Printemps noir de Kabylie», qui ont duré plusieurs mois, en sont un exemple concret», affirme le Dr Boudarène, psychiatre à l'hôpital Fernane-Hanafi de Oued Aïssi, dans une conférence qu'il a donnée au Congrès de Montpellier, en juin 2007 sous le thème : «Le suicide entre neurosciences et culture». Il explique que l'individu laisse, dans ces cas, de côté ses difficultés personnelles au profit de celles collectives. Pour ce psychiatre, «ces comportements extrêmes, qui ont mis en danger la vie des sujets, peuvent être considérés, et nous n'hésitons pas un instant à évoquer cette hypothèse, comme des comportements ou des équivalents suicidaires. Ces jeunes voulaient mourir, en tout cas ils n'avaient pas peur de la mort. Voici un des graffitis qu'ils ont écrits sur les murs de la ville. «Algérie = asile psychiatrique» ou «Vous pouvez tirer, nous sommes déjà morts». Paradoxalement, cette région a vu décroître le nombre de décès par mort volontaire entre 2000 et 2003. Tout semble, en effet, s'être passé, explique encore ce spécialiste, comme si les émeutes avaient engagé les sujets dans une «aventure collective» qui a permis de différer la détresse individuelle des sujets au profit d'un projet commun, la révolte. «Les désirs et les frustrations personnels sont passés au second plan. Le sujet s'est investi dans une action communautaire qui le met, en tout cas momentanément, à l'abri du passage à l'acte suicidaire individuel. L'agressivité tournée vers soi a trouvé un objet en dehors, un ennemi extérieur, ici les institutions publiques et les symboles de l'autorité de l'Etat». Répondant à l'une de nos questions, le Dr Boudarène nous dit : «On peut envisager que l'intérêt que suscite l'Equipe nationale de football puisse avoir des répercussions positives sur le problème du suicide par une baisse des cas. Les tracas quotidiens sont mis de côté. L'Equipe nationale a permis aux jeunes de percevoir une lueur d'espoir, une éclaircie dans un paysage triste».