Comment vivent les Russes aujourd'hui? Il y a deux hypothèses. Certains ont su profiter de l'arrivée de la démocratie et du commerce libéral pour «surfer», comme on dit, sur la vague tumultueuse de l'offre et de la demande. Ils ont les moyens d'acheter ou ils ont quelque chose à vendre. Ils ont les moyens de se faire protéger. Politiquement et physiquement. Ce sont les nouveaux riches ou les nouveaux mafiosi. Ils ne songent qu'à des séjours au soleil, à des palaces de luxe. Les autres, trop pauvres ou trop vieux, se débrouillent comme ils peuvent pour trouver une nourriture chaque jour plus rare et plus chère. Il y a les vieux, mais il y a les jeunes. Souvent abandonnés à eux-mêmes. C'est ainsi qu'en ce mois de juin 1998, dans un petit village russe, des gamins s'amusent comme ils peuvent. Tout leur est bon. — Regardez la bande des chiens sauvages. On y va. Le premier qui arrive à en choper un avec un caillou gagnera une bouteille de bière ! Les gamins, dont le plus âgé doit avoir 12 ans, se précipitent pour ramasser des pierres. A quelques mètres de là, dans la demi-obscurité de l'orée du bois, une meute de chiens de tous poils se glissent, la gueule basse. Ils cherchent quelque nourriture, quelques déchets comestibles. Les gamins jettent des cailloux vers les animaux mais se tiennent quand même à bonne distance. Les chiens poussent des glapissements en voyant les pierres rebondir sous leurs truffes. Si l'un d'entre eux est touché, Il lance un court aboiement de douleur mais les animaux continuent à rester groupés en glissant le long du bois touffu. — Hé, les gars, regardez un peu ! Il y a un drôle d'animal avec les chiens ! Qu'est-ce que c'est que cette bestiole ? En effet, au milieu de la meute, auprès d'une grande femelle, mélange puissant de chien-loup et de doberman, on voit quelque chose qui ressemble vaguement à un singe. En tous les cas, il ne s'agit pas d'un chien. Mais les gamins agressifs n'en sauront pas plus ce jour-là. La meute tout entière décide de s'enfoncer dans l'épaisseur de la forêt. Aucun des petits moujiks n'a le courage de les poursuivre. En terrain plat, à portée de vue des villageois, les enfants se sentent un peu en sécurité. Dans la profondeur de la forêt, ce sont les chiens qui auraient facilement le dessus. Ils seraient capables d'entourer un des petits imprudents et de le dévorer tout cru... Une semaine plus tard. Irina Vedrechkova, une brave mère de famille, sort de bon matin pour aller chercher un peu de ravitaillement dans la ferme de sa sœur, à quelque distance du village. Soudain Irina s'arrête net : — Qu'est-ce que c'est que ça ? «Ça», c'est une créature chevelue, nue, grise, couleur de boue. Une créature qui se déplace à toute vitesse sur ses quatre pattes. Quatre pattes ou bien deux pieds et deux mains. Irina n'y voit pas suffisamment clair. Elle se demande si les monstres des légendes russes n'existent pas réellement dans le cœur de la forêt. Dès qu'elle rentre, son panier plein de raves et de lait, elle se précipite au bureau politique du village pour y conter son étrange vision. — Une créature qui marche et je dirais même qui «court» à quatre pattes. Mais je n'ai pu m'approcher car la meute des chiens sauvages du bois l'entourait ! — Camarade, tu es une femme sensée et d'une sobriété exemplaire. Nous n'avons aucune raison de mettre en doute ce que tu dis avoir vu. Nous allons essayer de mettre la main sur la créature que tu as aperçue. Est-ce un animal ou un être humain ? Il faut le savoir. Après une réunion spéciale du comité du Parti, les responsables du village décident de tendre un piège : il s'agit d'attirer la meute et son «chien» étrange dans une sorte de nasse et de filets tendus. (à suivre...)