Comment ne pas y croire ? Comment ne pas croire à ce stupéfiant discours prononcé, jeudi dernier, par l'homme auquel Vladimir Poutine vient de confier le Kremlin ? Comment ne pas croire Dmitri Medvedev lorsqu'il va faire, en Allemagne, un si vibrant éloge de ces mêmes libertés qui ont été dans le passé si quotidiennement bafouées dans son pays ? Par Hamida Ksentini Nul ne doute que le scepticisme l'emportera dans ces capitales occidentales auxquelles s'adressait, à Berlin, le nouveau président russe, mais il faut, pourtant, lire et relire ce texte. Dense, cohérent, il pourrait bien être un manifeste, le programme d'une Russie dont l'ambition serait, maintenant, de s'ancrer à l'Europe et l'Amérique dans "une coopération d'égaux entre la Russie, l'Union européenne et l'Amérique du Nord, les trois branches, dit-il, de la civilisation européenne". On n'avait jamais entendu cela de la bouche de Vladimir Poutine. Cela rappelle bien plus le discours de Gorbatchev lors du bicentenaire de la Révolution française. On est en tout cas très loin, à leur exact opposé, des théories nationalistes sur la spécificité d'une Russie qui aurait une identité propre entre l'Europe et l'Asie, et ce choix fondamental dont se revendique Dmitri Medvedev s'ancre lui-même dans une vision de l'avenir russe. "La Russie, lance-t-il en citant John Le Carré, est sortie du froid." "Ayant abandonné le système soviétique et toute idée de le restaurer, elle place son avenir dans l'innovation. Le rapide développement de ses indicateurs macroéconomiques et son haut niveau de stabilité financière, sociale et politique ouvrent de nouveaux horizons à un investissement moderne et fiable." Le modèle chinois, donc ? Marché libre et liberté politique ? On s'attend à quelque chose de ce genre, et c'est cela qu'on entend. "Notre objectif n'est aujourd'hui pas seulement d'atteindre une haute qualité de croissance économique, reprend-il aussitôt, mais de transformer, également, la structure entière de notre société, notamment en soutenant le rapide développement de la classe moyenne. C'est cette classe moyenne, affirme-t-il, qui donnera une solide base sur laquelle pourra se construire la démocratie." Et là, l'oreille se tend. C'est là que Dmitri Medvedev commence vraiment à retenir l'attention car, si un phénomène marque l'évolution russe, c'est bien l'émergence de classes moyennes, urbaines évidemment, que l'on voit envahir les grandes surfaces et prendre des vacances familiales aux quatre coins de l'Europe. Les privatisations sauvages se digèrent. Elles ont donné naissance à un vrai secteur privé, désormais moins mafieux. L'envolée des cours pétroliers a fait le reste. L'argent a commencé de se diffuser en Russie, et le fait est que le successeur de Vladimir Poutine est à l'exacte image de ces yuppies russes, trop jeunes pour avoir été façonnés par le communisme et dont toutes les références et les aspirations sont occidentales. D'un discours à l'autre, clairement depuis Berlin, Dmitri Medvedev se campe en homme d'une troisième période du post-soviétisme, la marche vers l'Etat de droit après la régression autoritaire qui avait elle-même suivi l'écroulement de l'Etat. Reste à voir, évidemment, si cette ambition peut prendre forme, comment et à quel rythme, mais les Occidentaux auraient tort d'ignorer la proposition qu'il leur a faite, jeudi, de chercher à définir un "pacte régional" de sécurité européenne entre tous les pays du continent. Il n'y aurait aucun risque, et peut-être beaucoup d'avantages, à explorer cette voie. Le président russe accuse les Etats-Unis d'avoir provoqué la crise financièreLors du forum économique de Saint-Pétersbourg, le président russe, Dmitri Medvedev, a accusé ce samedi les Etats-Unis d'avoir provoqué la crise financière mondiale par excès d'ambition, leur opposant l'exemple d'une Russie " consciente de sa responsabilité pour le sort du monde " et futur leader économique. S'exprimant devant des milliers d'hommes d'affaires, de responsables russes et étrangers réunis au Forum économique de Saint-Pétersbourg, le président s'en est vivement pris à " l'illusion qu'un pays, même le plus puissant au monde, puisse jouer le rôle de gouvernement mondial ". "C'est précisément le fait que le rôle des Etats-Unis dans le système économique mondial ne correspond pas à ses capacités réelles qui a été une des principales raisons de la crise actuelle ", a-t-il insisté. La Russie, à l'inverse, " est un acteur mondial qui est conscient de sa responsabilité pour le sort du monde ", a-t-il martelé. " Nous voulons participer à la formation des règles du jeu, pas en raison d'ambitions impériales, mais parce que nous sommes conscients de notre responsabilité et que nous possédons des ressources ", en particulier énergétiques, a-t-il poursuivi. Là où d'autres pays se sont consacrés aux biocarburants, aggravant la crise alimentaire, la Russie libéralise son marché du gaz et prend des mesures fiscales pour relancer sa production de pétrole, ce qui contribuera à " stabiliser les marchés énergétiques mondiaux ", a-t-il souligné en exemple. Commentant ce discours peu après, le secrétaire américain au Commerce, Carlos Gutierrez, a remarqué que le président avait fait " plusieurs déclarations très fortes ", mais a rejeté la notion de " crise ", préférant évoquer un " retournement de croissance ". Medvedev : " Moscou, un centre financier puissant " M. Medvedev, qui est considéré comme un libéral, a succédé à Vladimir Poutine il y a un mois : il a, depuis, promis de renforcer l'Etat de droit, lutter contre la corruption et faciliter l'existence des PME russes. Son discours était très attendu par les participants au Forum. Il les a assurés de son ambition de faire de Moscou un " centre financier puissant " et du rouble " une des principales monnaies de réserve régionale " et d'encourager " l'innovation ". Les dirigeants russes reconnaissent volontiers qu'en dépit de son dynamisme, l'économie demeure obstinément dépendante des hydrocarbures. Mais dans les couloirs du Forum, la question la plus brûlante était plutôt celle de la crise aiguë opposant les actionnaires russes et britanniques du troisième groupe pétrolier russe, TNK-BP. Bien qu'il s'agisse d'une entreprise entièrement privée (détenue à 50% par trois hommes d'affaires russes et à 50% par la major britannique BP), beaucoup d'analystes estiment que la cascade d'ennuis qui s'est abattue sur elle depuis quelques mois est liée à la volonté de l'Etat de reprendre en main une partie des actifs de TNK-BP. Son dénouement est désormais une question de " jours ", a assuré samedi son P-DG Robert Dudley, alors que la plupart des protagonistes de l'affaire TNK-BP, présents au Forum, devraient en profiter pour aborder la question. M. Dudley a ajouté " n'avoir aucune indication d'une vente de la part d'aucun actionnaire ". Le patron de BP, Tony Hayward, s'est dit pour sa part " confiant " qu'une issue serait trouvée. Carlos Gutierrez a rappelé à ce sujet que les entreprises et le reste du monde regarderaient de près " la façon dont le problème sera traité (...) La communauté internationale souhaiterait voir un règlement transparent ". Le patron de la major britannique Shell, Jeroen van der Veer, sans vouloir commenter directement le cas TNK-BP, a, pour sa part, remarqué que le climat des affaires en Russie " n'est bien sûr pas parfait, mais qu'il est suffisamment bon pour que nous cherchions des opportunités" avec l'appui de partenaires russes.